Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vente jeunesse, alors que s’agitait en moi une vitalité surabondante qui me semblait devoir se répandre et se communiquer. Alors, je le confesse, j’ai souvent pris en pitié les mesquins triomphes de la vanité satisfaite ; alors j’ai protesté amèrement contre les transports avec lesquels je voyais accueillir des œuvres sans conscience et sans portée ; alors j’ai pleuré sur ce que d’autres appelaient mes succès, quand il m’était bien démontré que la foule accourait à l’artiste pour lui demander un amusement passager et non un sérieux enseignement de nobles intuitions. Alors je me suis senti presque également blessé me refusant de reconnaître des juges aussi frivoles, et par des louanges, et par les critiques, j’ai dit avec le poète : « Je ne veux ni de l’impertinence de leurs sifflets ni de l’insolence de leurs applaudissements. » « Je resterai calme et stoïque dans les alternatives du succès et de l’insuccès, me défiant de l’un, indifférent à l’autre ; c’est en moi seul que je saurai trouver mon point d’appui ; ma conscience sera mon seul critérium. » C’était bien de l’orgueil sans contredit ; mais rassurez-vous, l’orgueil indompté de la jeunesse ne dure pas ; il va se resserrant et s’amoindrissant d’année en année ; l’expérience le taille et le rogne jusqu’à ce qu’il soit arrivé aux proportions plus acceptables de la vanité. Ils sont en bien petit nombre, ceux qui ont traversé la vie et qui sont descendus au tombeau dans tout l’orgueil de leurs jeunes pensées de leurs premiers désirs, de leurs vierges ambitions ; les