Page:Littérature Contemporaine - Volume 41, 1889.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

être appelée une héroïne de l’amour ; elle a réalisé le type touchant de cet amour absolu que les psychologues ont désigné sous le nom d’amour-passion.

Son âme élevée, à la fois délicate et ardente, a été comme un chef-d’œuvre et un modèle de tendresse. À une époque qui fut véritablement l’âge d’or de la chaire et du cilice, où fleurissait le mysticisme, mais où l’ascétisme religieux gardait encore son âpreté, sa rudesse, son austérité voisine de l’insensibilité ; en un temps où l’amour terrestre, l’amour humain était presque stigmatisé comme un entraînement funeste, comme une inclination damnable, comme une suggestion du mauvais Esprit, comme une sorte de réminiscence païenne des obsessions de Vénus à sa proie attachée, — elle a cédé avec candeur au penchant de la nature et n’a point formé son cœur aux inspirations de l’amour. À force d’ardeur sincère, de fidélité, d’abnégation, de sacrifice d’elle-même, elle a réhabilité la passion. Elle a élevé l’amour à la hauteur d’une sorte de culte, elle en a fait, sinon une vertu tout au moins une exaltation généreuse et pleine d’héroïsme. Elle a été l’amante idéale, aimant jusqu’au dernier soupir et ne cessant d’aspirer, même au-delà du tombeau, à un perpétuel renouveau de sa tendresse, comme complément suprême des délices d’une autre vie.

Ce qui semble ainsi donner à Héloïse son caractère distinctif et sa physionomie morale particulière, c’est moins son aventure romanesque et sa liaison amoureuse brisée par un tragique événement, que la noble et tendre passion dont elle donna l’exemple à une société endurcie par l’ascétisme mystique et peu accessible encore à la douceur des sentiments et à la compatissante indulgence pour les entraînements du cœur.

Ensevelie dans les ombres du cloître, elle s’est résignée à abriter son front sous le voile des vestales chrétiennes ; mais pareille aux vestales antiques, elle a