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événement, tourmenté par d’inutiles aspirations, de stériles désirs, d’intimes regrets, mais enfin absous par la religion et par la mort, devait remplir la destinée de cette touchante victime de la passion.

La passion, en effet, maîtrise sa vie et la consume silencieusement dans le mystère du cloître, sans laisser d’autres traces que de simples caractères tracés sur des pages arrosées de pleurs. Mais la flamme de l’éther n’en est pas moins vive et brûlante pour n’avoir ni fumée, ni cendres.

Héloïse était une de ces âmes héroïques qui ne veulent pas guérir de ce doux et cher tourment qu’on nomme le mal d’aimer. Elle se laissa, en quelque sorte noyer et submerger par sa tendresse ; car, pour elle, rien ne pouvait remplacer ni égaler son amour. Nous avons dit que par un touchant et généreux scrupule, elle se refusait à être épousée par Abélard, pour ne rester que son amante. — « J’aime trop sa gloire, disait-elle, et ce lien pourrait y former obstacle. » Elle révélait ainsi toute la grandeur de son âme prête à toutes les sublimités du sacrifice.

Plus tard, il lui fallut emporter ce trait enflammé et le cacher dans l’ombre triste et froide de son oratoire du Paraclet. Alors l’amour ne fut plus pour elle que comme un de ces torrents au cours désolé qui traversaient les vieux cloîtres. Elle n’en connut plus que le souvenir assombri et les images passagères. Elle souffrait de n’en pouvoir goûter que les eaux furtives et les délices défendues. Jamais ses félicités trop rapides et trop fugitives ne furent oubliées ; elle ne cessa de les regretter et de les pleurer, et ses lettres, irrécusables témoignages, sont comme baignées de ses larmes brûlantes.

C’est ainsi que s’est écoulée la vie d’Héloïse, ennoblie par la constance, par l’ardeur sincère et par l’abnégation désintéressée de sa passion. Elle a gardé la poésie de l’abandon pudiquement voilé et la grâce des chûtes