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sa seule beauté. Ses joues avaient cette pâleur séduisante qui accompagne un esprit tendre et méditatif. Telle apparait une touchante madone, à qui l’art du sculpteur a su donner dans la blancheur du marbre, la perfection des traits, et l’expression d’une âme divine. Ses cheveux noirs tombaient en boucles sur son cou, dont ils rehaussaient encore l’éclat transparent. Son front pur et serein était celui d’un ange ; mais ses yeux profonds et baignés de tendresse trahissaient toute la sensibilité d’une femme.

Clémence embrassait d’un long regard le lac et le bois, et l’île et le saule-pleureur. Tous ces objets lui plaisaient et l’attendrissaient par leur mystère et leur mélancolie. Mais sa vue demeura attachée sur un petit tertre de gazon qui s’élevait presque à ses pieds.

Il était surmonté d’une pierre que les années avaient rompue en plusieurs fragments. Peut-être avait-elle pu porter autrefois une inscription, mais il n’en restait pas vestige. Entre ces débris croissait, orpheline délaissée, une jeune fleur, qui, sans doute, y fut semée par quelque brise passagère.

Là, reposait, dit-on, le premier poète, qui, jadis avait accordé le luth des troubadours, mélodieux rival de la Cithare des Trouvères. Depuis longtemps son nom était oublié ; mais on racontait encore une vieille histoire de ses amours, et ses refrains simples et touchants se transmettaient encore de bouche en bouche.

Il avait reçu le jour non loin des rives fleuries du lac ; il les avait célébrées dans ses vers naïfs, et c’était sur ces mêmes bords, assurait-on, que, le théorbe à la main, il s’était endormi au matin de l’âge dans l’éclat printanier de son talent. Tel un cygne de l’Eurotas exhale sa vie avec la douceur de ses chants.

La comtesse Isaure se sentit envahie par une vive émotion en regardant le tertre isolé qui évoquait ses souvenirs :