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CLAUDE BERNARD

clure et surtout de partir hâtivement d’un fait observé pour bâtir une théorie où l’hypothèse comblerait les lacunes de l’expérimentation. En tenant compte de l’époque et des abus métaphysiques du passé, il n’est personne qui ne reconnaisse que cette conduite, car nous ne saurions employer ici le nom de méthode, fût celle d’un sage ; c’était une sorte d’empirisme volontaire, un degré nécessaire dans l’évolution, qui, des pures conceptions métaphysiques, devait nous conduire à l’interprétation vraiment scientifique des phénomènes vitaux.

Dans ces circonstances, il est facile de se rendre compte de l’état des esprits au sujet de la valeur des études physiologiques. Parmi les hommes adonnés à l’étude, parmi les médecins eux-mêmes, et peut-être surtout parmi ces derniers, la physiologie n’était pas considérée comme une science. Ceux qui reconnaissaient la valeur absolue des lois de la physique et de la chimie, étaient prêts à nier que les corps vivants pussent, dans les manifestations de leurs phénomènes propres, être soumis à des lois aussi rigoureuses. Le principe vital, même lorsqu’ils en niaient l’existence, n’en subsistait pas moins dans leur manière de concevoir les actes vitaux comme quelque chose d’éminemment variable, d’essentiellement instable, et pour ainsi dire de capricieux ; et, si nous pouvions nous étendre ici sur l’étude de cet état des esprits, même les plus éminents, en remontant seulement à l’époque où Claude Bernard communiqua aux sociétés savantes les résultats de ses premières recherches, il nous serait facile de montrer que bien des objections qui lui furent faites alors se réduisaient à peu près à ceci : « Vous cherchez à poser des lois pour des actes qui n’obéissent à aucune loi ; vous avez constaté tel phénomène dans telle circonstance ; mais qui vous dit que demain, dans ces mêmes circonstances, ce phénomène ne se présentera pas tout différemment ? » On comprend que, pour répondre à de telles objections, Claude Bernard ait été amené à insister avec tant de force sur le déterminisme des actes physiologiques, et qu’il ait fait de ce déterminisme le principal objet de ses doctrines générales, le lien essentiel de toutes ses conceptions philosophiques sur les phénomènes des êtres vivants.

Mais, avant de passer à l’étude de cette œuvre en réalité immense quand on pénètre dans le détail, et qui cependant, étonne par sa simplicité quand on en considère l’ensemble, nous devons encore préciser deux points propres à marquer l’état d’évolution