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CLAUDE BERNARD

à son absorption, et c’est ainsi que le curare devient inoffensif lorsqu’on modère son entrée dans la circulation générale de manière à ce que l’élimination se fasse au fur et à mesure.


— C’est ce déterminisme qui donne à la physiologie son caractère de science exacte, au même titre que la physique et la chimie. Ce caractère, Claude Bernard voulait surtout qu’il devint celui de la médecine, qui, disait-il, n’est qu’une branche de la physiologie. Aussi ne se lassait-il pas de proscrire de la médecine tout ce qui procède par statistique, tout ce qui dérive de ce qu’on a nommé la méthode numérique. Lorsque, disait-il, la science expérimentale a bien déterminé les conditions d’un phénomène, qu’il s’agisse de la production ou de la curation d’une maladie, il n’y a plus à dire que ce phénomène se produit 80 ou 90 fois sur 100 : il se produit toutes les fois que se trouvent réalisées les conditions déterminantes exactement connues ; le tout est de connaître ces circonstances, et dès lors on sera maître de provoquer ou d’empêcher la manifestation du phénomène. Un exemple qu’il aimait à citer donnera une forme saisissable à cet énoncé général. À l’époque où la nature parasitaire de la gale était ignorée, on appliquait à cette affection les traitements les plus divers : l’un donnait 30 pour 100, l’autre 40 pour 100 de guérisons. Aujourd’hui on connaît le parasite de la gale ; l’histoire du développement, des migrations, des mœurs de l’acarus explique la contagion et la marche de la maladie ; mais nous savons aussi quels agents détruisent le parasite. Le déterminisme de l’affection et de sa curation étant rigoureusement établi, ce n’est plus par 30 ou 40 pour 100 que se comptent les curations : autant il entre de galeux à Saint-Louis, autant il en sort de guéris au bout de peu de jours. Ainsi la statistique est une méthode empirique, un aveu même d’ignorance : tant qu’une science en est réduite à la méthode numérique, c’est qu’elle est encore indigne du nom de véritable science : en physique, en chimie, il n’y a pas de statistique : de l’acide sulfurique versé sur de la chaux donne toujours, et non pas 30 ou 40 fois sur 100, du sulfate de chaux.

Comme exemple de déterminisme en fait de recherches médicales ou thérapeutiques, il faut encore citer ses belles recherches sur les alcaloïdes de l’opium. Ce médicament, qui exerce sur le plus grand nombre une action calmante, agite quelques personnes et va même jusqu’à produire parfois des convulsions. Une même