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PRÉFACE. XXI

quelque auteur qui les auroit employés. On ne feroit pas mal non plus de se répandre sur les ouvrages des anciens poëtes provençaux ; et rien ne serviroit plus à perfectionner la science étymologique qu'une recherche exacte des mots particuliers aux diverses provinces du royaume ; car on connoîtroit par là l'infinie diversité de terminaisons et d'altérations de syllabes que souffrent les mots tirés de la même source ; ce qui donneroit une nouvelle confirmation et plus d'extension aux principes de cet art, et justifieroit plusieurs conjectures qui ont servi de raillerie à quelques mauvais plaisants."

Je reviendrai ci-après sur les patois, le provençal et les autres langues romanes, et je continue l'explication de cet historique.

Pendant que, dans l'article consacré à l'usage présent, les acceptions sont rigoureusement classées d'après l'ordre logique, c'est-à-dire en commençant par le sens propre et en allant aux sens de plus en plus détournés, ici tout est rangé d'après l'ordre chronologique. Le principe de succession prévaut sur le principe de l'ordre des significations ; ce qui importe, c'est de connaître comment les emplois se succèdent les uns aux autres et s'enchaînent. D'un coup d'œil on saisit toute cette filiation ; et, allant de siècle en siècle, on voit le mot tantôt varier d'usage, de signification et d'orthographe, tantôt se présenter dès les plus hauts temps à peu près tel qu'il est aujourd'hui. La curiosité qu'excite naturellement un tel déroulement ne se satisfait pas sans éveiller une foule de réflexions spontanées qui rendent la langue plus claire, plus précise, et, si je puis dire ainsi, plus authentique, et qui, faisant sentir le prix de la tradition, inspirent le respect des aïeux, et, au lieu du dédain pour le passe, la reconnaissance.

L'antiquité des langues romanes est fort grande ; elle se confond avec l'origine de toutes les choses modernes en Occident, puisque c'est du centre romain que sont parties les influences de civilisation qui ont agi sur la Germanie, conquise par Charlemagne, christianisée par la conquête et par les missionnaires, et rendue féodale du même coup. Quand on considère l'Occident européen dans son ensemble et comme corps politique, on y aperçoit trois groupes : le groupe allemand, le groupe roman, le groupe anglais, tous trois distincts par la langue. Le premier, comme le nom l'indique, est de langue germanique ; le second est de langue latine ; le troisième est intermédiaire, germanique d'origine, mais fortement mélangé de roman par l'effet de la conquête normande. Le premier est le plus ancien, je parle des monuments de langue : on remonte, dans le domaine germanique, jusqu'au quatrième siècle, aux Goths et à Ulfilas, à une époque où le latin était encore vivant, et où il n'était aucunement question des langues romanes. Le second est postérieur, et son idiome commence à se dégager vers le neuvième siècle. Le troisième est le dernier en date ; au quatorzième siècle l'anglais se forme de la combinaison d'un fonds germanique avec un mélange français. C'est ainsi que se partage l'histoire des langues dans l'Occident.