Page:Littré - Dictionnaire, 1873, T1, A-B.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXII PRÉFACE.


La langue française, en tant que langue distincte du latin, a commencé d'exister dans le courant du neuvième siècle, du moins à en juger par les monuments écrits. Un trouvère du douzième siècle, Benoît, nous apprend que des vers satiriques en cette langue furent faits contre un comte de Poitiers qui s'était mal conduit dans un combat avec les pirates normands. Ces vers du neuvième siècle ne nous sont point parvenus, et nous n'avons d'une aussi haute antiquité que le serment des fils de Louis le Débonnaire.

Le dixième siècle n'est guère plus riche en textes. La langue vulgaire, cela est certain, ne faisait que bégayer, et, quand il s'agissait d'écrire, c'était au latin que l'on recourait. Deux très courts échantillons du parler d'alors nous ont été conservés : c'est le Chant d'Eulalie et le Fragment de Valenciennes. Le Chant d'Eulalie est une petite composition qui n'a que vingt-huit vers ; le Fragment de Valenciennes est un lambeau de sermon trouvé sur la garde d'un manuscrit, décollé à grand'peine et lu avec non moins de difficulté. Quelque courts qu'ils soient, ces textes sont précieux et curieux par leur date.

C'est au onzième siècle que commencent les grandes compositions poétiques ; mais comme ces compositions, d'abord écrites en assonances, furent remaniées dans le siècle suivant en rimes exactes, il ne nous reste que bien peu de poëmes que l'on puisse faire remonter avec certitude jusque-là. Cependant ce n'est point une témérité que d'attribuer au onzième siècle la Chanson de Roland, qui a conservé les assonances primitives et qui porte d'ailleurs toute sorte de caractères d'ancienneté. Les Lois de Guillaume, imposées par le conquérant à l'Angleterre lorsqu'il y établit le système féodal, sont incontestablement du onzième siècle ; seulement les textes que nous en avons ne sont pas purs de toutes retouches ni de ces influences qui donnèrent au français parlé en Angleterre un cachet particulier. Rien de pareil ne peut être reproché au Poëme de Saint Alexis, qui est un excellent texte de la langue écrite du onzième siècle. Il n'y a que ces trois documents pour la période qui compte ses années depuis 1001 jusqu'à 1100.

Celle qui les compte de 1101 à 1200 voit se développer dans son essor le mouvement et le travail commencés dans le siècle précédent. Le douzième siècle est l'âge classique de l'ancienne littérature. C'est alors que se composent ou se remanient les grandes chansons de geste et que se font les poëmes du cycle breton sur la Table ronde et Artus. Les textes abondent ; et, ne pouvant tout citer, il faut faire un choix. On trouvera à l' historique, particulièrement mis à contribution, la geste des Saxons, le poëme si remarquable de Raoul de Cambrai, les chansons du sire de Couci, le poëme si bien écrit et si travaillé sur le martyre de saint Thomas de Cantorbéry, les traductions du livre des Psaumes, de Job, des Rois, des Machabées et des sermons de saint Bernard, Benoît et sa Chronique de Normandie, Wace et ses poëmes de Brut et de Rou. De la sorte, on a sous les yeux un suffisant témoignage de la manière de parler et d'écrire du temps de Louis le Gros et de Philippe Auguste.