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Page:Littré - Dictionnaire, 1873, T1, A-B.djvu/39

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PRÉFACE XXXIII

ail : suspiraculum, soupirail ; quelquefois simplement acle : miraculum, miracle. La finale arius devient aire ou ier : contrarius, contraire, primarius, premier. La finale aticus, aticum, s'exprime par age : viaticum, voyage. Les finales enge, inge, onge, proviennent de emia, imius, omia ou omnia : simius, singe ; somniari, songer. Le double w germanique se rend par gu : guerre, de werra. L'n suivie d'une r exige souvent l'intercalation d'un d : veneris dies, ven'ris dies, vendredi ; ponere, pon're, pondre.

Ces exemples, qu'il serait facile d'étendre davantage, suffisent ici. Une fois que les règles de permutation ont été ainsi obtenues par la comparaison de beaucoup de cas, on s'en sert comme d'une clef. Prenons le verbe ronger : comparé à songer, qui vient de somniari, ronger viendra de rumniare, dit, par l'épenthèse très commune d'un i, pour rumnare ; de sorte que ronger est proprement ruminer. Cette déduction, que la théorie suffirait pour assurer, est vérifiée de fait par les patois, qui disent en effet ronger pour ruminer. De la même façon, on trouvera une élégante étymologie de notre mot âge : l'accent circonflexe indique une contraction ; en effet, la forme complète est eage ou aage, et, dans les plus vieux textes, edage ; dès lors tout est clair : le corps du mot est ea ou eda, représentant oeta, du latin oetatem ; la finale age représente aticum ; et l'on remonte sans conteste à un mot bas-latin oetaticum, réel ou fictif, qui sert d'intermédiaire entre le français âge et le latin oetas. Ce que sont les mots bas-latins ainsi formés, on le comprend ; ils n'ont rien de commun avec les intermédiaires imaginés par les anciens étymologistes. Ceux-ci ne connaissaient pas les règles de permutation, et ils inventaient des thèses pour justifier leur étymologie ; elle dépendait de ces intermédiaires qui en dépendaient à leur tour ; c'était un cercle vicieux. Aujourd'hui rien de semblable ; on sait exactement quelle est la forme qui en bas-latin peut répondre à la forme romane ; et quand, ne la trouvant pas, on la reconstitue, on ne fait que mettre complétement sous les yeux du lecteur une série d'ailleurs assurée ; cela sert à représenter l'explication, non à la fonder.

4. L'historique, en regard des formes diverses données par les langues romanes, fournit les formes et les significations primitives. Sans la connaissance de ces formes et de ces significations, il n'y a guère d'étymologie qui puisse être cherchée avec sécurité, je parle des étymologies non évidentes de soi. C'est par le défaut d'historique qu'il est en beaucoup de cas impossible d'expliquer les noms de métier. Quand on n'a que la conjecture, des chemins divers sont ouverts pour atteindre la forme primitive, le sens primitif ; mais, quand on a un historique, le chemin prend une direction fixe dans laquelle il faut s'engager. Ainsi basoche vient de basilica, cela est certain ; mais comment est-ce certain? C'est que tous les lieux qui portent le nom de basoche ont basilica pour nom latin ; cela posé, basilica donne baselche, réel ou fictif, peu importe, car on sait par des exemples suffisants que le latin ilica ou ilice donne elce ou elche ; puis, par le changement connu de el en eu ou o, baselche deviant


DICT. DE LA LANGUE FRANÇAISE. e