Quand le quatorzième siècle finit, les seigneuries provinciales ont beaucoup perdu de leur caractère féodal ; la monarchie a pris la prépondérance ; Paris est devenu une capitale, et simultanément il s'est fait une langue une, employée par tous ceux qui écrivent, à quelque localité qu'ils appartiennent. C'est à ce moment que les dialectes cessent d'exister en France ; les patois en prennent la place.
Ainsi l'on définira le patois un dialecte qui, n'ayant plus de culture littéraire, sert seulement aux usages de la vie commune. Cette définition, fondée, comme on voit, sur l'histoire, empêche aussitôt de croire que les patois soient une corruption de la langue correcte : idée fort répandue mais très fausse ; la généalogie des patois le montre.
Non-seulement les dialectes ne sont pas nés d'un démembrement d'une langue française préexistante, mais, à vrai dire, ils sont antérieurs à la langue française, ou, si l'on veut, elle est un de ces dialectes ayant gagné, par des circonstances extrinsèques et politiques, la primauté. Dans leur temps, le mot de langue française s'appliquait à l'ensemble des dialectes de la France du Nord : nom très juste, puisque ces dialectes avaient plus de ressemblance entre eux qu'ils n'en avaient avec aucune des autres langues romanes, provençal, espagnol ou italien. Quiconque a une teinture d'histoire sait pourquoi oe fut le dialecte de Paris et de l'Ile-de-France qui prévalut ; mais ce qu'on ne sait pas aussi généralement, c'est qu'au fur et à mesure qu'il devenait la langue du pays, il recevait un considérable mélange de formes normandes, picardes et autres.
Les Italiens nomment textes de langue les textes qui proviennent d'autorités classiques ou du moins d'autorités valables. On peut introduire chez nous cette expression, et dire que, comme textes de langue, les dialectes jouissent d'un plein droit et ont entre eux une parfaite égalité. Il est impossible de nier qu'ils aient transmis cette prérogative aux patois. Sans doute les patois, quand ils ont reçu dans leur sein un mot littéraire, nouveau, scientifique, l'ont estropié ; mais le fond qu'ils tiennent des dialectes est excellent et aussi français que ce qui est dans la langue littéraire : on peut donc en user en sécurité, car ils sont une part réelle et saine de notre idiome. Eux seuls en conservent les caractères locaux qui, à l'origine, furent empreints dans les dialectes. Il est bon de savoir que, dans un grand pays, ce n'est pas la langue une et commune qui forme les dialectes ; ce sont les dialectes qui forment la langue une et commune.
Considérée dans son ensemble, l'étude de la langue comprend l'état présent, et, dans l'état passé, l'état provincial ou dialectique : c'est-à-dire ce qu'elle est aujourd'hui en sa fonction littéraire, politique et administrative ; ce qu'elle fut en ses phases diverses ; ce qu'elle fut en sa formation simultanée sur tous les points du territoire dont chacun lui imprima une marque spéciale. Cette marque spéciale, représentée jadis par les dialectes, est représentée aujourd'hui par les patois.
v. des langues romanes, au nombre desquelles est la langue française.
Les langues romanes occidentales sont au nombre de quatre, en laissant de côté la langue romane orientale, le valaque, qui, s'étant formé dans de tout autres conditions. peut être ici négligé. Ce sont l'italien, l'espagnol, le provençal et le français. Dans l'espagnol sont compris le portugais et le catalan, qui appartiennent au même domaine. Quant au provençal ou langue d'oc, c'est déjà, et même depuis longtemps, un idiome mort ; les circonstances politiques le tuèrent, et le très grand éclat qu'il eut dans le haut moyen âge ne l'a pas sauvé.
Le français n'est qu'un membre particulier de la grande formation romane. Si l'on n'avait que des textes d'histoire et non les langues elles-mêmes, on pourrait douter que le latin fût devenu le parler usuel, vulgaire, de la population, non-seulement dans l'Italie, mais dans l'Espagne et dans la Gaule. Sans doute on voit de bonne heure que, soit d'origine ibérienne, soit d'origine gauloise, tous les esprits qui se sentaient quelque aptitude littéraire, abandonnant sans retour leur langue maternelle, n'écrivaient qu'en latin. Pline dit que ceux des Latins qui s'adonnaient à la médecine délaissaient immanquablement leur idiome et composaient en grec, transfugæ ad Græcos ; de même les Gaulois et les Ibères lettrés passaient tous en transfuges à la latinité. On voit aussi que l'administration se faisait en langue latine. Mais, malgré cette attraction toute naturelle et le puissant réseau administratif, il aurait pu se faire que le gros des nations ibérienne et gauloise, c'est-à-dire la population des villes et des campagnes, gardât opiniâtrement son parler ; et ce parler aurait reparu quand, les barbares ayant supplanté les Romains, le latin n'eut plus rien qui le soutînt. C'est ce qui advint dans l'Armorique et la Biscaye, où le celtique et le basque, qui étaient indigènes et préexistants, se sont remontrés quand la pression romaine eut été écartée. Mais les langues romanes coupent court à toutes ces suppositions ; elles prouvent par leur caractère, qui est latin, et qui l'est autant en Gaule et en Espagne qu'en Italie, qu'au cinquième siècle, quand les barbares s'établirent définitivement sur les terres, ce qui restait des langues indigènes n'était plus que peu de chose et ne put tenir devant ce dernier et terrible choc. La latinité devint le refuge universel des populations vaincues ; et, quand l'assimilation fut complétée entre les envahisseurs et les envahis, c'est-à-dire à peu près vers le temps de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve, il se trouva que, si la Gaule et l'Ibérie avaient disparu dans la latinité, la Germanie transplantée n'y avait pas moins disparu. Seul le latin avait présidé à la production de langue qui s'était faite.
Voici comment, d'après l'état des recherches étymologiques, on classera la part qui revient dans la formation des langues romanes à chacune des populations qui composaient l'Occident latin. La part la plus petite est à l'ibérien, dont le basque est, comme on sait, le représentant moderne ; c'est par le basque qu'on a indiqué quelques origines qui paraissent être ibériennes. Une part plus grande, mais encore peu notable, est au celtique, dont les représentants modernes sont le bas-breton en Armorique, le gallois ou kimry dans le pays de Galles en Angleterre, le gaélique dans les hautes terres d'Écosse et dans l'Irlande ; c'est avec les langues néo-celtiques et quelques rares documents transmis par l'antiquité qu'on détermine un certain nombre d'étymologies qui viennent de ce fonds. L'apport germanique dépasse de beaucoup les deux autres ; les différents dialectes germa-