d'amour et quelquefois de religion. Quelques-unes sont gracieuses et intéressantes ; on peut citer surtout Flore et Blanchefleur, et Idoine et Amadas. Amadas rappelle le cycle des Amadis, qui, certainement espagnol au seizième siècle, a peut-être des liaisons avec de plus anciennes compositions françaises. Les poëmes d'aventures sont écrits, comme ceux du cycle de la Table ronde, en vers de huit syllabes à rimes plates.
Ces poëmes sérieux n'ont pas manqué d'être accompagnés de poëmes railleurs qui les ont parodiés et ont fait rire des grands coups de lance, des exploits merveilleux et des prodigieux héros. Le plus amusant de ces poëmes, et il est réellement très amusant, c'est le Voyage de Charlemagne à Jérusalem. Le grand empereur, portant majestueusement la couronne et l'épée impériales, passe devant l'impératrice qui lui dit qu'il y a un prince qui porte encore mieux que lui la couronne et l'épée : « Et qui est-ce ? » dit Charlemagne courroucé. L'impératrice veut en vain retirer une parole imprudente, elle est obligée de nommer l'empereur de Constantinople. Charlemagne part aussitôt pour cette ville avec ses preux, jurant que, si le dire de l'impératrice n'est pas vrai, il lui coupera le cou à son retour. Rendus à Constantinople, nos preux gabent à qui mieux mieux, c'est-à-dire se vantent d'accomplir les choses les plus prodigieuses ; Roland, Olivier et les autres enchérissent sans réserve en fait de prouesses et de merveilles. Un espion qui a été placé auprès d'eux, vient, tout effrayé, rapporter ces propos au prince de Constantinople, qui met nos héros au défi. Ceux-ci se regardent tout interdits, j'allais dire, tout penauds ; mais un ange arrive à leur secours ; il accomplit leurs plus extravagantes gaberies ; et Charlemagne, poursuivant son voyage victorieux jusqu'à Jérusalem, rapporte de la ville sainte les précieuses reliques. C'est encore un poëme héroïcomique que le Moniage Guillaume, où ce paladin, prenant l'habit religieux, mais ne prenant que cela de la vie monastique, fort comme Hercule, glouton, peu endurant, indocile, devient l'effroi des moines parmi lesquels il s'est retiré. On citera aussi Baudoin de Sebourg, qui est d'une époque moins reculée (le quatorzième siècle), et que Génin regardait comme un des vrais et meilleurs précurseurs du charmant poëme de Roland le Furieux.
Au genre des poëmes satiriques plutôt qu'à celui des poëmes héroï-comiques appartient le Roman de Renart, l'une des plus célèbres compositions du moyen âge français. Ce sont les animaux qui font les rôles. Ces rôles sont féodaux. Le goulpil (vulpes) se nomme Renart ; le loup, Ysengrin ; la louve, dame Hersent ; le lion, roi Noble ; la poule, Pintain ; le coq, Chantecler ; l'âne, Bernard ; le lièvre, Couard ; l'ours, Brun ; le moineau, Drouineau, etc. Renart représente l'astuce, la perfidie, la rapacité, l'adresse ; Ysengrin, la violence et la brutalité ; dans ses luttes avec Renart, il a, malgré sa force supérieure, presque toujours le désavantage. Le roi Noble essaye en vain de rendre justice et de redresser les torts. Le thème étant donné (et ce thème ne remonte pas à moins que le douzième siècle et peut-être le onzième), les trouvères le développèrent et y ajoutèrent sans cesse des continuations ; c'est ce qu'on nomme les branches de Renart ; elles sont de mains et d'é-
poques très différentes. Quelques-unes sont fort licencieuses ; mais plusieurs se font remarquer par la verve, l'originalité, le mordant de la satire. On ne peut rien voir de plus caractéristique et de plus amusant que Renart se confessant dévotieusement au Milan et mangeant son confesseur.
Les poëmes didactiques sont en grand nombre. Le plus célèbre de tous est le Roman de la Rose, qui, commencé par Guillaume de Lorris et achevé par Jean de Meung, est, sous la main du premier, une allégorie amoureuse et, sous la main du second, une espèce d'encyclopédie. A côté on rangera les Images du monde, les Bestiaires, les Castoiements ou enseignements moraux, et tant d'autres compositions où l'on s'efforçait d'instruire en plaisant. Ce qui plaisait, c'était la forme versifiée ; la prose n'entrait point encore en partage de ces expositions.
Il ne me reste plus dans une revue si sommaire qu'à mentionner deux genres tout à fait originaux et très dignes d'attention : les chansons et les fabliaux. Les chansons sont innombrables ; elles ont été étudiées avec beaucoup de soin par M. Paulin Paris dans le tome XXIII de l'Histoire littéraire de la France. Il y en a de très jolies, de très gracieuses, de vraiment belles ; et, suivant moi, on pourrait, d'un choix de ces chansons, composer un volume rivalisant avec les canzoni de Pétrarque, qui leur est postérieur de deux siècles ; le recueil de Chants historiques français du douzième au dix-huitième siècle, par M. Leroux de Lincy, a été formé à un autre point de vue. Ce qu'a fait M. Paulin Paris pour les chansons, M. Le Clerc l'a fait au même endroit pour les fabliaux. Ce sont des contes satiriques, moraux, plaisants ; la verve de nos trouvères a été inépuisable ; la licence et la grossièreté en déparent plusieurs ; mais il en reste beaucoup encore qui sont pleins de sel et de piquant. Ce mérite a été bien senti par ceux des étrangers qui imitaient la littérature française, et alors on l'imitait partout. Boccace ne s'est pas fait faute de s'enrichir des dépouilles de nos conteurs. Souvent ils ont pénétré bien plus loin et dans des endroits où la trace en est perdue. On se rappelle, dans Zadig de Voltaire, l'émouvante rencontre de Zadig avec un ermite dont les actions sont inexplicables et qui se transforme en l'ange du destin. Voltaire avait pris l'idée de cet épisode dans un poëte anglais, Parnell ; et celui-ci, à son tour, le tenait, par je ne sais quel enchaînement, d'un fabliau français du douzième ou treizième siècle. Un récit aussi original ne s'invente pas deux fois.
La prose fut beaucoup moins cultivée que la poésie. Cependant on doit citer des ouvrages historiques, Villehardouin, Joinville, la Chronique de Rains, des romans du cycle de la Table ronde et autres, des écrits sur la législation et le droit, des sermons, des traductions. Il n'est pas besoin de faire ressortir l'importance de livres comme ceux de Villehardouin et de Joinville, narrateurs de ce qu'ils virent et de ce qu'ils firent. J'ajouterai que ce sont les bons manuscrits de textes en prose qui représentent la langue dans son meilleur état de correction grammaticale.
Il ne suffit pas, pour apprécier cette littérature, de dire ce qu'elle a produit et les genres où elle s'est essayée ; il faut dire aussi ce qui en est advenu et quel en a été le succès.