Page:Littré - Pathologie verbale ou lésions de certains mots dans le cours de l’usage.djvu/46

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l’accent sur la première syllabe, gémere n’a pu fournir qu’un mot français où cette même première syllabe eût l’accent. Mais à côté, dès les anciens temps, existait gemir, qui provient d’une formation barbare, gemêre, au lieu de gémere. Ces deux verbes, l’usage moderne ne les a pas laissés synonymes. Suivant la tendance qu’il a de donner à la forme la plus archaïque un sens péjoratif, il a fait de geindre un terme du langage vulgaire où le gémissement est présenté comme quelque chose de ridicule ou de peu sérieux. Au contraire, gémir est le beau mot, celui qui exprime la peine morale et la profonde tristesse.

Gent, s. f. — Il est regrettable, je dirais presque douloureux, que des mots excellents et honorables subissent une dégradation qui leur inflige une signification ou basse ou moqueuse et qui les relègue hors du beau style. Gent en est un exemple. Encore au commencement du dix-septième siècle, il était d’un usage relevé, et Malherbe disait la gent qui porte turban ; le cardinal du Perron, une gent invincible aux combats ; et Segrais, cette gent farouche. Aujourd’hui cela ne serait pas reçu : on rirait si quelque chose de pareil se rencontrait dans un vers moderne de poésie soutenue ; car gent ne se dit plus qu’en un sens de dénigrement ou qu’en un sens comique. À quoi tiennent