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Des Modes Simples de l’Eſpace. Liv. II.

talement ſéparée. Car je défie qui que ce ſoit de pouvoir écarter, même par la penſée, une partie de l’Eſpace d’avec une autre. Diviſer & ſeparer actuellement, c’eſt, à ce que je croi, faire deux ſuperficies en écartant des parties qui faiſoient auparavant une quantité continuë ; & diviſer mentalement, c’eſt imaginer deux ſuperficies où auparavant il y avoit continuité, & les conſiderer comme éloignées l’une de l’autre, ce qui ne peut ſe faire que dans les choſes que l’Eſprit conſidére comme capables d’être diviſées, & de recevoir, par la diviſion, de nouvelles ſurfaces diſtinctes, qu’elles n’ont pas alors, mais qu’elles ſont capables d’avoir. Or aucune de ces ſortes de diviſions, ſoit réelle, ou mentale, ne ſauroit convenir, ce me ſemble, à l’Eſpace pur. A la vérité, un homme peut conſiderer autant d’un tel eſpace, qui réponde ou ſoit commenſurable à un pié, ſans penſer au reſte, ce qui eſt bien une conſideration de certaine portion de l’Eſpace, mais n’eſt point une diviſion même mentale, parce qu’il n’eſt pas plus poſſible à un homme de faire une diviſion par l’Eſprit ſans reflechir ſur deux ſurfaces ſeparées l’une de l’autre, que de diviſer actuellement, ſans faire deux ſurfaces, écartées l’une de l’autre. Mais conſiderer des parties, ce n’eſt point les diviſer. Je puis conſiderer la lumiére dans le Soleil, ſans faire deux ſurfaces, écartées l’une de l’autre. Mais conſiderer des parties, ce n’eſt point diviſer. Je puis conſiderer la lumiére dans le Soleil, ſans faire reflexion à ſa chaleur, ou la mobilité dans le Corps, ſans penſer à ſon étenduë, mais par-là je ne ſonge point à ſeparer la lumiére d’avec la chaleur, ni la mobilité d’avec l’étenduë. La prémiére de ces choſes n’eſt qu’une ſimple conſideration d’une ſeule partie, au lieu que l’autre eſt une conſideration de deux parties entant qu’elles exiſtent ſeparément.

§. 14. En troiſiéme lieu, les parties de l’Eſpace pur ſont immobiles, ce qui ſuit de ce qu’elles ſont indiviſibles : car comme le mouvement n’eſt qu’un changement de diſtance entre deux choſes, un tel changement ne peut arriver entre des parties qui ſont inſéparables, car il faut qu’elles ſoient par cela même dans un perpetuel repos l’une à l’égard de l’autre.

Ainſi l’Idée déterminée de l’Eſpace pur le diſtingue évidemment & ſuffiſamment du Corps, puisque ſes parties ſont inſéparables, immobiles, & ſans reſiſtance au mouvement du Corps.

§. 15.La Définition de l’Etenduë ne prouve point qu’il ne ſauroit y avoir de l’Eſpace ſans Corps. Que ſi quelqu’un me demande, ce que c’eſt que cet Eſpace, dont je parle, je ſuis prêt à le lui dire, quand il me dira ce que c’eſt que l’Etenduë. Car de dire comme on fait ordinairement, que l’Etenduë c’eſt d’avoir partes extra partes, c’eſt dire ſimplement que l’Etenduë eſt étenduë. Car, je vous prie, ſuis-je mieux inſtruit de la nature de l’Etenduë lorsqu’on me dit qu’elle conſiſte à avoir des parties étenduës, extérieures à d’autres parties étenduës, c’est à dire que l’Etenduë eſt compoſée de parties étenduës, ſuis-je mieux inſtruit ſur ce point, que celui qui me demandant ce que c’eſt qu’une Fibre, recevroit pour réponſe, que c’eſt une choſe compoſée de pluſieurs Fibres ? Entendroit-il mieux, après une telle réponse, ce que c’eſt qu’une Fibre, qu’il ne l’entendoit auparavant ? ou plûtôt, n’auroit-il pas raiſon de croire que j’aurois bien plus en vûë de me moquer de lui, que de l’inſtruire ?

§. 16.La Diviſion des Etres en Corps & Eſprits, ne prouve point que l’Eſpace & le Corps ſoient la même choſe. Ceux qui ſoûtiennent que l’Eſpace & le Corps ſont une même choſe, ſe ſervent de ce Dilemme : Ou l’Eſpace eſt quelque choſe, ou ce