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Des Modes Simples de l’Eſpace.. Liv. II.

n’eſt rien. S’il n’y a rien entre deux Corps, il faut néceſſairement qu’ils ſe touchent : & ſi l’on dit que l’Eſpace eſt quelque choſe[1], ils demandent ſi c’eſt le Corps, ou Eſprit ? A quoi je répons par une autre Queſtion : Qui vous a dit, qu’il n’y a, ou qu’il n’y peut avoir que des Etres ſolides qui ne peuvent penſer, & que des Etres penſans qui ne ſont point étendus ? Car c’eſt là tout ce qu’ils entendent par les termes Corps & d’Eſprit.

§. 17.La Subſtance, que nous ne connoiſſons pas, ne peut ſervir de preuve contre l’exiſtence d’un Eſpace ſans Corps. Si l’on demande, comme on a accoûtumé de faire, ſi l’Eſpace ſans Corps eſt ſubſtance ou Accident, je répondrai ſans héſiter, Que je n’en ſai rien ; & je n’aurai point de honte d’avoûër mon ignorance, juſqu’à ce que ceux qui font cette Queſtion, me donnent une idée claire & diſtincte de ce qu’on nomme Subſtance.

§. 18. Je tâche de me délivrer, autant que je puis, de ces illuſions que nous ſommes ſujets à nous faire à nous-mêmes, en prenant des mots pour des choſes. Il ne nous ſert de rien de faire ſemblant de ſavoir ce que nous ne ſavons pas, en prononçant certains ſons qui ne ſignifient rien de diſtinct & de poſitif. C’eſt battre l’air inutilement. Car des mots fait à plaiſir ne changent point la nature des choſes, & ne peuvent devenir intelligibles

  1. C’est la demande qu’on vient de faire ** Dans un Livre Anglois, intitulé Dr. Clarke’s Notions of Space examined. Imprimé à Londres, en 1733. au Défenſeur des Notions du Docteur Clarke, concernant l’Eſpace, cité ci-deſſus, p.69. Not.I « Si l’Auteur de cette Défenſe, dit-on, a quelque idée d’une Choſe, qui n’eſt ni Matiere ni Eſprit, qu’il ne nous diſe point ce que cette Choſe n’eſt pas, mais ce qu’elle eſt. S’il n’a aucune idée d’une telle Choſe, je ſuis aſſûré, dit ſon Antagoniſte qu’il ne prouvera jamais que l’Eſpace ſoit cette Choſe-là : car prouver que c’eſt ce dont il n’a aucune idée, c’eſt prouver que c’eſt ſeulement un il ne ſait quoi. Et il ne ſuffira point, ajoûte-t-il, de répondre avec M. Locke à la Queſtion, Si l’Eſpace eſt Corps ou Eſprit ? Qui vous a dit, qu’il n’y a, ou qu’il ne peut y avoir que des Etres ſolides qui ne peuvent penſer, & que des Etres penſans qui ne ſont point étendus. Cette réponſe, dit-il, ne ſuffira point parce qu’ici la queſtion n’eſt pas, s’il peut y avoir autre choſe que Corps & Eſprit, mais ſi nous n’avons aucune idée de quelque autre choſe. Et ſi nous n’en avons aucune, je ſuis aſſuré qu’il ſera impoſſible de prouver, comme je viens de dire, que l’Eſpace ſoit cette Choſe-là ». Voici les propres paroles de l’Original : If the Author of the Defence of Dr. Clarke’s Notions concerning Space has any Idea of a thing, that is neither matter nor ſpirit, let him not tell us what it is not, but what it is. If he has not any Idea of ſuch a Thing, then I am ſure he can never prove Space to that thing : for proving it to be what he has no Idea of, is proving it to be only --- he knows not what. Nor will it be ſufficient to ſay herewith Mr. Locke, who to the Queſtion, whether Space be Body or Spirit ? Anſwers by another Queſtion, viz. Who told them that there was, or could be nothing but ſolid Beings that were not extended ? which is all they mean, he ſays, by the termes Body & Spirit. This, I ſay, will not be ſufficient ; ſince the Queſtion here, is not, whether there cannot be any Thing beſide Body and Spirit ? but whether we have any Idea of any other Thing ? And, if we have not, I am ſure it will be impoſſible to prove Space, y I have ſayd before, to be ſuch a Thing. L’Auteur employe la meilleure partie de ſon Livre à prouver que l’Eſpace diſtinct de la Matiere n’a en effet aucune exiſtence réelle, que c’eſt un pur vuide, un Néant abſolu, un Etre imaginaire, l’abſence du Corps & rien de plus. Pour moi, j’avouë ſincerement que ſur une Queſtion ſi ſubtile, comme ſur bien d’autres de cette nature, je n’ai point d’opinion déterminée ; & que je me fais une affaire de desapprendre tous les jours bien des choſes dont je m’étois crû fort bien inſtruit. Multa neſcire mea pars magna ſapientia.