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XXIV
ELOGE DE M. LOCKE.

le reſte de ſa vie. Et en effet rien ne met dans un plus beau jour le mérite de M. Locke que cette eſtime conſtante qu’eut pour lui Mylord Shaftsbury, le plus grand Genie de ſon Siécle, ſuperieur à tant de bons Eſprits qui brilloient de ſon tems à la Cour de Charles II. non ſeulement par ſa fermeté, par ſon intrepidité à ſoutenir les véritables intérêts de ſa Patrie, mais encore par ſon extrême habileté dans le manîment des affaires les plus épineuſes. Dans le tems que M. Locke étudioit à Oxford, il ſe trouva par accident dans ſa compagnie ; & une ſeule converſation avec ce grand homme lui gagna ſon eſtime & ſa confiance à tel point que bien-tôt après Mylord Shaftsbury le retint auprès de lui pour y reſter auſſi long-tems que la ſanté ou les affaires de M. Locke le lui pourraient permettre. Ce Comte excelloit ſur-tout à connoitre les hommes. Il n’étoit pas poſſible de ſurprendre ſon eſtime par des qualitez médiocres ; c’eſt dequoi ſes ennemis même n’ont jamais diſconvenu. Que ne puis-je d’un autre côté vous faire connoître la haute idée que M. Locke avoit du mérite de ce Seigneur ? Il ne perdoit aucune occaſion d’en parler ; & cela d’un ton qui faiſoit bien ſentir, qu’il étoit fortement perſuadé de ce qu’il en diſoit. Quoi que Mylord Shaftsbury n’eût pas donné beaucoup de tems à la lecture, rien n’étoit plus juſte, au rapport de M. Locke, que le jugement qu’il faiſoit des Livres qui lui tomboient entre les mains. Il déméloit en peu de tems le deſſein d’un Ouvrage, & ſans ſ’attacher beaucoup aux paroles qu’il parcouroit avec une extrême rapidité, il découvroit bien-tôt ſi l’Auteur étoit maître de ſon ſujet, & ſi ſes raiſonnemens étoient exacts. Mais M. Locke admiroit ſur-tout en lui, cette pénétration, cette préſence d’Eſprit qui lui fourniſſoit toûjours les expediens les plus utiles dans les cas les plus deſeſperez, cette noble hardieſſe qui éclatoit dans tous ſes Diſcours Publics, toûjours guidée par un jugement ſolide, qui ne lui permettant de dire que ce qu’il devoit dire, régloit toutes ſes paroles, & ne laiſſoit aucune priſe à la vigilance de ſes Ennemis.

Durant le tems que M. Locke vêcut avec cet illuſtre Seigneur, il eut l’avantage de connoitre tout ce qu’il y avoit en Angleterre de plus fin, de plus ſpirituel & de plus poli. C’eſt alors qu’il ſe fit entièrement à ces maniéres douces & civiles qui ſoûtenuës d’un langage aiſé & poli, d’une grande connoiſſance du Monde, & d’une vaſte étenduë d’Eſprit, ont rendu ſa converſation ſi agréable à toute ſorte de perſonnes. C’eſt alors ſans doute qu’il le forma aux grandes affaires dont il a paru ſi capable dans la ſuite.

Je ne ſai ſi ſous le Roi Guillaume, le mauvais état de ſa ſanté lui fit refuſer d’aller en Ambaſſade dans une des plus conſiderables Cours de l’Europe. Il eſt certain du moins, que ce grand Prince le jugea digne de ce poſte ; & perſonne ne doute qu’il ne l’eût rempli glorieuſement.

Le même Prince lui donna après cela, une place parmi les Seigneurs Commiſſaires qu’il établit pour avancer l’intérêt du Negoce & des Plantations, M. Locke exerça cet emploi durant pluſieurs années ; & l’on dit (abſit invidia verbo) qu’il étoit comme l’Ame de ce noble Corps. Les Marchands les plus experimentez admiroient qu’un homme qui avoit paſſé ſa vie à l’étude de la Medecine, des Belles Lettres, ou de la Philoſophie, eût des