Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XXV
ELOGE DE M. LOCKE.

vuës plus étenduës & plus ſûres qu’eux ſur une choſe à quoi ils s’étoient uniquement appliquez dès leur premiére jeuneſſe. Enfin lorſque M. Locke ne put plus paſſer l’Eté à Londres ſans expoſer ſa vie, il alla ſe demettre de cette Charge entre les mains du Roi, par la raiſon que ſa ſanté ne pouvoit plus lui permettre de reſter long-tems à Londres. Cette raiſon n’empêcha pas le Roi de ſolliciter M. Locke à conſerver ſon Poſte, après lui avoir dit expreſſément qu’encore qu’il ne pût demeurer à Londres que quelques Semaines, ſes ſervices dans cette Place ne laiſſeroient pas de lui être fort utiles : Mais il ſe rendit enfin aux inſtances de M. Locke, qui ne pouvoit ſe réſoudre à garder un Emploi auſſi important que celui-là, ſans en faire les fonctions avec plus de régularité. Il forma & executa ce deſſein ſans en dire mot à qui que ce ſoit, évitant par une généroſité peu commune ce que d’autres auroient recherché fort ſoigneuſement. Car en faiſant ſavoir qu’il étoit prêt à quitter cet Emploi, qui lui portait mille Livres ſterling de revenu, il lui étoit aiſé d’entrer dans une eſpèce de compoſition avec tout Prétendant, qui averti en particulier de cette nouvelle & appuyé du crédit de M. Locke auroit été par-là en état d’emporter la place vacante ſur toute autre perſonne. On ne manqua pas de le lui dire, & même en forme de reproche. Je le ſavois bien, répondit-il ; mais ç’a été pour cela même que je n’ai pas voulu communiquer mon deſſein à personne. J’avois reçu cette Place du Roi, j’ai voulu la lui remettre pour qu’il en pût diſpoſer ſelon ſon bon-plaiſir.

Une choſe que ceux qui ont vécu quelque tems avec M. Locke, n’ont pu s’empêcher de remarquer en lui, c’eſt qu’il prenoit plaiſir à faire uſage de ſa Raiſon dans tout ce qu’il faiſoit : & rien de ce qui eſt accompagné de quelque utilité, ne lui paroiſſoit indigne de ſes ſoins ; de ſorte qu’on peut dire de lui, comme on l’a dit de la Reine Elizabeth, qu’il n’étoit pas moins capable des petites que des grandes choſes. Il diſoit ordinairement lui-même qu’il y avoit de l’art à tout ; & il étoit aiſé de s’en convaincre, à voir la maniére dont il ſe prenoit à faire les moindres choſes, toujours fondée ſur quelque bonne raiſon. Je pourrois entrer ici dans un détail qui ne déplairoit peut-être pas à bien des gens. Mais les bornes que je me ſuis preſcrites, & la crainte de remplir trop de pages de votre Journal ne me le permettent pas.

M. Locke aimoit ſur tout l’Ordre ; & il avoit trouvé le moyen de l’obſerver en toutes choſes avec une exactitude admirable.

Comme il avoit toûjours l’utilité en vûë dans toutes ſes recherches, il n’eſtimoit les occupations des hommes qu’à proportion du bien qu’elles ſont capables de produire : c’eſt pourquoi il ne faiſoit pas grand cas de ces Critiques, purs Grammairiens qui conſument leur vie à comparer des mots & des phraſes, & à ſe déterminer ſur le choix d’une diverſité de lecture à l’égard d’un paſſage qui ne contient rien de fort important. Il goûtoit encore moins les Diſputeurs de profeſſion qui uniquement occupez du deſir de remporter la victoire, ſe cachent ſous l’ambiguité d’un terme pour mieux embarraſſer leurs adverſaires. Et lors qu’il avoit à faire à ces ſortes de gens s’il ne prenoit par avance une forte réſolution de ne pas ſe fâcher, il s’emportoit bien-tôt. Et en général il eſt certain qu’il étoit naturellement aſſez ſu-