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de pratique ne ſont innez. Liv. I.

certaines perſonnes font par principe de conſcience ce que d’autres évitent par le même motif.

§. 9.Exemples de pluſieurs actions énormes, commiſes ſans aucun remords de conſcience. D’ailleurs, ſi ces Règles de Morale étoient innées & empreintes naturellement dans l’Ame des hommes, je ne ſaurois comprendre comment ils pourroient venir à les violer tranquillement, & avec une entiére confiance. Conſiderez une Ville priſe d’aſſaut, & voyez s’il paroît dans le cœur des ſoldats, animez au carnage & au butin, quelque égard pour la Vertu, quelque Principe de Morale, & quelque remords de conſcience pour toutes les injuſtices qu’ils commettent. Rien moins que cela. Le brigandage, la violence, & le meurtre ne ſont que des jeux pour des gens mis en liberté de commettre ces crimes ſans en être ni cenſurez ni punis. Et en effet n’y a-t-il pas eû des Nations entiéres & mêmes des plus polies ** Les Grecs & les Romains., qui ont crû qu’il leur étoit auſſi bien permis d’expoſer leurs Enfans pour les laiſſer mourir de faim, ou devorer par les bêtes farouches, que de les mettre au Monde ? Il y a encore aujourd’hui des Païs où l’on enſevelit les Enfans tout vifs avec leurs Méres, s’il arrive qu’elles meurent dans leurs couches ; ou bien on les tuë, ſi un Aſtrologue aſſûre qu’ils ſont nez ſous une mauvaiſe Etoile. Dans d’autres Lieux, un Enfant tuë ou expoſe ſon Pére & ſa Mére, ſans aucun remords, lors qu’ils ſont parvenus à un certain âge. Dans (a)(a) Gruber apud Thevenot. Part. IV. pag. 13. un endroit de l’Aſie, dès qu’on déſeſpére de la ſanté d’un Malade, on le met dans une foſſe creuſée en terre ; & là expoſé au vent & à toutes les injures de l’air, on le laiſſe périr impitoyablement, ſans lui donner aucun ſecours. C’eſt une choſe ordinaire (b)(b) Lambert apud Thevenot. pag. 38. parmi les Mingreliens, qui font profeſſion du Chriſtianiſme, d’enſevelir leurs Enfans tout vifs, ſans aucun ſcrupule. Ailleurs, les Péres (c)(c) Voſſius de Nili origine. c. 18. 19. mangent leurs propres Enfans. Les Caribes (d)(d) P. Mart. Dec. 1. ont accoûtumé de les châtrer, pour les engraiſſer & les manger. Et Garcillaſſo de la Vega rapporte (e)(e) Hiſt. des Incas. Liv. I. ch. 12. que certains Peuples du Perou avoient accoûtumé de garder les femmes qu’ils prenoient priſonniéres, pour en faire des Concubines, & nourriſſoient auſſi délicatement qu’ils pouvoient, les Enfans qu’ils en avoient, juſqu’à l’âge de treize ans ; après quoi ils les mangeoient, & faiſoient le même traitement à la Mére dès qu’elle ne leur donnoit plus d’Enfans. Les Toupinambous (f)(f) Lery, ch. 16. ne connoiſſoient pas de meilleur moyen pour aller en Paradis que de ſe vanger cruellement de leurs Ennemis, & d’en manger le plus qu’ils pouvoient. Ceux que les Turcs canoniſent & mettent au nombre des Saints, menent une vie qu’on ne ſauroit rapporter ſans bleſſer la pudeur. Il y a, ſur ce ſujet, un endroit fort remarquable dans le Voyage de Baumgarten. Comme ce Livre eſt aſſez rare, je tranſcrirai ici le paſſage tout au long dans la même Langue qu’il a été publié. Ibi (fcil. prope Belbes in Ægypto) vidimus ſanctum unum Saracenicum inter arenarum cumulos, ita ut ex utero matris prodiit, nudum ſedentem. Mos eſt, ut didicimus, Mahometiſtis, ut eos, qui amentes & ſine ratione ſunt, pro ſanctis colant & venerentur. Inſuper & eos qui cùm diu vitam egerint inquinatiſſimam, voluntariam demùm pœnitentiam & paupertatem, ſanctitate verenrandos deputant. Ejuſmodi verò genus hominum libertatem quandam eſſrænumem habent, domos quas volunt intrandi, edendi, bibendi, & quod majus eſt, concumbendi, ex quo concubitu, ſi proles ſecuta fuerit, ſancta ſimiliter habetur.