Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
Que nuls Principes

His ergo hominibus, dum vivunt, magnos exhibent honores : mortuis verò vel rempia vel monumenta exſtruunt ampliſſima, eoſque contingere ac ſepelire maxime fortune ducunt loco. Audivimus hæc dicta & dicenda per interpretem à Mierelo noſtro. Inſuper ſanctum illum, quem eo lodi vidimus, publicitus apprime commendari, eum eſſe hominem ſanctum, divinum ac integritate præcipium : eo quod, nec fœminarum unquam eſſet nec puerorum, ſed tantummodo aſelharum concubitor atque mularum. Peregr. Baumgarten, Lib. 2. cap. I. p. 73.[1] Où ſont, je vous prie, ces Principes innez de juſtice, de piété, de reconnoiſſance, d’équité & de chaſteté, dans ce dernier exemple & dans les autres que nous venons de rapporter ? Et où eſt ce conſentement univerſel qui nous montre qu’il y a de tels Principes, gravez naturellement dans nos Ames ? Lors que la mode avoit rendu les Duels honorables, on commettoit des meurtres ſans aucun remords de conſcience ; & encore aujourd’hui, c’eſt un grand deshonneur en certains Lieux que d’être innocent ſur cet article. Enfin, ſi nous jettons les yeux hors de chez-nous, pour voir ce qui ſe paſſe dans le reſte du Monde, & conſiderer les hommes tels qu’ils ſont effectivement, nous trouverons qu’en un Lieu ils font ſcrupule de faire, ou de négliger certaines choſes, pendant qu’ailleurs d’autres croyent mériter récompenſe en s’abſtenant des mêmes choſes que ceux-là font par un motif de conſcience, ou en faiſant ce que ces premiers n’oſeroient faire.

§. 10.Les Hommes ont des principes de pratique, oppoſez les uns aux autres. Qui prendra la peine de lire avec ſoin l’Hiſtoire du Genre Humain & d’examiner d’un œuil indifférent la conduite des Peuples de la Terre, pourra ſe convaincre lui-même, qu’excepté les Devoirs qui ſont abſolument néceſſaires à la conſervation de la Société humaine (qui ne ſont même que trop ſouvent violez par des Sociétez entiéres à l’égard des autres Sociétez) on ne ſauroit nommer aucun Principe de Morale, ni imaginer aucune Règle de vertu qui dans quelque endroit du Monde ne ſoit mépriſée ou contredite par la pratique générale de quelques Sociétez entiéres qui ſont gouvernées par des Maximes de pratique, & par des règles de conduite tout-à-fait oppoſées à celles de quelque autre Société.

§. 11.Des Nations entières rejettent certaines règles de Morale. On objectera peut-être ici, qu’il ne s’enſuit pas qu’une règle ſoit inconnuë, de ce qu’elle eſt violée. L’Objection eſt bonne, lors que ceux qui n’obſervent pas la règle, ne laiſſent pas de la recevoir en qualité de Loi ; lors, dis-je, qu’on la regarde avec quelque reſpect par la crainte qu’on a d’être deshonoré, cenſuré, ou châtié, ſi l’on vient à la négliger. Mais il eſt impoſſible de concevoir qu’une Nation entiére rejettât publiquement ce que chacun de ceux qui la compoſent, connoîtroit certainement & infailliblement être une véritable Loi, car telle eſt la connoiſſance que tous les hommes doivent néceſſairement avoir des Loix dont nous parlons, s’il eſt vrai qu’elles ſoient naturellement empreintes dans leur Ame. On conçoit bien que des gens peuvent reconnoître quelquefois certaines Règles de Morale comme véritables, quoi que dans le fond de leur ame, ils les croyent

  1. On peut voir encore au ſujet de cette eſpèce de Saints ſi fort reſpectez par les Turcs, ce qu’en a dit Pietro della Valle dans une Lettre du 25. Janvier, 1616.