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LA FOI DES HOMMES

Mais rien de semblable ne se révéla. Alors, il se tourna vers le tenancier du faro et prononça, en termes froids et mesurés :

— Inwood, j’ai ici, dans mon sac, cinq cents dollars d’or pur pour parier que ce que vous venez de dire n’est pas imprimé sur ce papier. Inwood le regarda avec surprise.

— Allez-vous-en, enfant ! je ne veux pas de votre argent !

— C’est bien ce que je pensais, dit doucement Pentfield en jetant négligemment sur la table une poignée de jetons.

Une rougeur monta aux joues du croupier, qui, comme en doutant de ses propres sens, déplia à nouveau le journal qui traînait sur une chaise ; puis, interrompant délibérément la partie, il dit à Lawrence, nerveusement :

— Dites donc, homme, je ne puis vous permettre ça, vous savez !

— Me permettre quoi ?

— Vous permettre d’insinuer que j’ai menti, comprenez-vous ?

— Je n’insinue rien, rétorqua Pentfield. Je prétends seulement que vous cherchez à faire montre de beaucoup d’esprit…

— Faites vos jeux, messieurs, annonça calmement Inwood.

Et regardant Pentfield dans les yeux :

— Vous êtes un peu jeune pour me faire tourner en bourrique, je vous en préviens, Pentfield !

— Et je suis assez vieux, cependant, repartit celui-ci, pour jouer les cinq cents dollars que voici contre… vos mauvais yeux, si vous voulez.

Ce disant, il posa sur la table un long sac de peau d’élan, lourd de pépites d’or.

— Je regrette, mais j’empoche votre argent, mon garçon, fit Inwood, triomphalement, en lançant devant Lawrence le San Francisco Chronicle.

Le malheureux, interloqué, les tempes lui battant à grands coups, parcourut avidement toutes les lignes de la page, jetant un regard rapide sur les titres en gros caractères et, soudain, les noms de Mabel Holmes et de Corry Hutchinson, accouplés, lui sautèrent aux yeux, au haut de la dernière colonne.

— J’ai perdu, déclara Pentfield, en souriant. Cet Hutchinson, une fois lâché, ma parole ! est capable des pires choses !

Il se mit alors, dans un coin de la salle, à la clarté d’un lumignon, à relire mot pour mot la prose mondaine : « L’un des rois du Bonanza, associé là-bas avec Mr Lawrence Pentfield, que la society californienne n’a pas encore oublié, et intéressé avec ce gentleman dans d’autres propriétés minières du lointain Klondike, vient d’épouser miss Mabel Holmes. » Et plus loin : « On dit dans leur entourage que Mr et Mrs Hutchinson, à titre de lune de miel, entreprendront le rude voyage du Grand Nord, après une rapide visite aux parents du jeune marié, à Detroit, Michigan ».

— Je vais revenir, boys, gardez ma place ! dit vivement Pentfield, en reprenant son sac, allégé des cinq cents dollars gagnés par Inwood.

Il sortit, longea un instant le trottoir bondé de neige et acheta chez un fruitier-barbier-libraire un journal de Seattle. Celui-ci contenait exactement la même information, bien qu’un peu plus condensée. Corry et Mabel, indubitablement, étaient mari et femme. Lawrence retourna à l’Opera-House, repris son tabouret, et, sans hésitation, demanda le banco.

— Vous voulez voir si votre vieille main a tourné ? questionna Inwood avec un gros rire. Ma foi ! je me disposais à aller m’acheter des mocassins à la « A. C. ». mais je vais tout de même rester pour vous voir ramasser une bonne culotte. Hein ! Ce serait votre tour ?

Mais le tenancier avait mal prévu, car, au bout de deux heures de jeu, il annonça, en coupant entre ses dents la pointe d’un nouveau cigare, que Mr Lawrence Pentfield avait, pour le présent, entièrement drainé la banque.

Lawrence passa ses jetons, encaissa quarante mille dollars, serra la main