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L'ILLUSTRATION

d’Inwood et l’informa qu’il ne jouerait plus à sa table de faro ni à aucun autre jeu d’argent durant les jours qui lui restaient à vivre.

Personne ne sut ni ne supposa jamais que Pentfield venait d’être frappé d’un coup particulièrement rude. Il n’y eut aucun changement apparent dans sa façon de vivre. Durant une semaine il vaqua à son travail avec la même exactitude, prenant les mêmes peines, accomplissant les mêmes devoirs, jusqu’au matin du dimanche où un prospecteur, qui s’était reposé un instant dans sa cabine, lui donna un journal de Portland-en-Orégon. Le compte rendu du mariage de Corry et de Mabel s’y étalait en première page. Alors il demanda à l’un de ses voisins de prendre charge de la mine pendant quelque temps, attela ses chiens et partit pour le haut Yukon. À l’embouchure de la White Hiver, qui présentait à angle droit son boulevard de glace, il tourna. Au bout de cinq jours de marche, Lawrence arriva à un camp de chasse d’Indiens Pelly. Là, il y eut grande fête, le soir, en son honneur. Il fut convié à s’asseoir à la droite du chef et partagea le potlach avec la pauvre tribu. Le lendemain, de bonne heure, il poussait sa meute vers l’endroit d’où il était venu. Seulement, cette fois, il ne voyageait pas seul. Une jeune squaw, qu’il ramenait avec lui, prenait soin des chiens et lui aida à planter la tente au premier soir d’étape. Cette Indienne avait eu le flanc déchiré par la patte d’un ours, alors qu’elle était enfant ; elle en gardait une démarche assez heurtée et pénible. Elle se nommait Lashkà. Le shaman de la tribu venait de les unir dans le mariage avec les rites rapides et quelque peu barbares des Innuites du Nord. À présent, passive, inquiète, non du fait d’être désormais la chose de cet homme blanc, mais à la vague perspective de l’inconnu qui s’ouvrait devant elle, Lashkâ s’en allait avec son époux vers les richesses du Bonanza.

Après tout, cette pauvre fille, digne et active, malgré son infirmité, n’était pas, peut-être, un si mauvais lot pour lui, avait pensé Pentfield. Aussitôt qu’ils eurent atteint Dawson, un pasteur les bénit officiellement en se servant du dialecte chinook pour s’adresser à la squaw, humble et troublée. Dawson, traversé vite, resta dans l’esprit de Lashkâ comme une extraordinaire féerie. Puis Pentfield l’installa dans la grande maison neuve emplie d’agréables odeurs d’essences, sur le haut du coteau, devant le champ de placer.

Neuf jours passèrent. Les hommes du district, les notabilités de la capitale du Klondike, restèrent bien un peu stupéfaits d’un tel acte de la part d’un gentleman accompli comme l’était Lawrence Pentfield ; mais, après tout, chacun doit savoir diriger mieux que quiconque ses propres affaires et nul n’osa commenter — au moins devant l’intéressé — cette union assez étrange. Au reste, Pentfield, dès le premier jour, cessa toutes relations avec les quelques mineurs qui étaient entrés dans le pays accompagnés de leurs femmes.

Il ne reçut plus de nouvelles de l’extérieur. On disait, dans le Yukon Nugget que six traîneaux chargés de lettres et de paquets postaux s’étaient perdus dans une tourmente de neige, à Big Salmon. Et Pentfield savait qu’à cette époque, Corry Hutchinson et sa femme voyageaient déjà dans l’intérieur de l’Alaska, en route pour la mine, en route pour ce voyage de noces dont il avait tant rêvé, au long des jours, au long des nuits, pour lui-même…

Avril approchait de sa fin lorsque, par un joli matin de printemps, égayé d’éclats de soleil sur la lande, Lashkâ demanda la permission de descendre le ruisseau avec les chiens jusqu’à la hutte de l’Indien Siwash Peter. La femme de Siwash Peter, venue de la tribu de la rivière Stewart, lui avait mandé que son nouveau-né était gravement malade. Lashkâ passait pour posséder une certaine science des troubles infantiles. Pentfield lui proposa obligeamment de l’accompagner. Il harnacha les chiens et ils prirent ensemble le sentier, sur le lit de Bonanza.