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BELLIOU-LA-FUMÉE

ment. Il était atterré par le gaspillage de ces années passées à la ville, par le peu de valeur que représentaient actuellement pour lui les philosophies des écoles et des livres, le cynisme intelligent des artistes et des journalistes, les bouffonnes prétentions des hommes d’affaires dans leurs clubs. Ces gens-là ne savaient ni manger, ni dormir, ni se bien porter ; jamais ils n’avaient connu ni l’aiguillon du véritable appétit, ni l’angoisse salutaire de la fatigue, ni la forte poussée du sang qui court comme un vin généreux dans les veines du travailleur.

Pendant tout le temps cette terre spartiate et saine, ce beau pays du Nord, avait existé et il l’ignorait ! Ce qui l’étonnait le plus, étant données ses aptitudes toutes particulières pour ce genre de vie, c’est qu’il n’eût jamais entendu le moindre murmure d’appel l’invitant à sortir de lui-même pour chercher sa véritable ambiance. Il finit cependant par résoudre cette énigme, comme les autres.

« Écoute, Gueule-Jaune, tout m’apparaît clairement. »

L’animal interpellé souleva alternativement les pattes de devant en gestes vifs et pacificateurs, puis les recouvrit de sa queue touffue et exposa ses crocs au feu dans un sourire destiné à son maître.

« Herbert Spencer avait près de quarante ans quand il entrevit sa principale capacité et son désir dominant. Moins lent que lui, je n’ai pas attendu d’avoir trente ans pour trouver ma voie. C’est bien ici que je sens ma puissance et ma vocation. Gueule-Jaune, je regrette presque de n’être pas né louveteau : j’aurais passé tous mes jours en frère de toi et des tiens. »

Il erra longtemps à travers un chaos de vallées et de hauteurs qui ne se prêtaient à aucune topogra-