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BELLIOU-LA-FUMÉE

jointures. Tire-nous de là et laisse-moi donner les coups. »

La Fumée ne put jamais se rappeler exactement ce qui s’était passé pendant la demi-heure suivante. Il finit par sortir de la bagarre épuisé, pantelant, la mâchoire écorchée d’un coup de poing, l’épaule meurtrie d’un coup de gourdin, le sang tiède lui coulant le long d’une jambe déchirée par les crocs d’un chien, et les deux manches de sa parka réduites en morceaux. Comme dans un rêve, tandis que la bataille continuait à faire rage derrière lui, il aida le Courtaud à refaire le harnachement des chiens. Ils coupèrent les traits de l’un d’eux, qui était mourant, et s’ingénièrent, en tâtonnant dans l’obscurité, à remettre tout en ordre.

« Maintenant, couche-toi et reprends ton souffle », ordonna le Courtaud.

Et les chiens, sans avoir rien perdu de leur vigueur, s’élancèrent dans la nuit, descendirent la Mono, filèrent par le raccourci et arrivèrent au Yukon. À la rencontre de la piste principale sur le fleuve, quelqu’un avait allumé un feu, et le Courtaud se sépara de son ami. Pendant que son traîneau bondissait derrière les chiens lancés à toute allure, cette lueur permit à la Fumée d’entrevoir une autre des scènes inoubliables de ce pays du Nord. Il emporta la vision du Courtaud, hurlant son encouragement d’adieu, puis titubant et s’asseyant lentement dans la neige, un œil au beurre noir, l’autre fermé, les jointures des doigts meurtries et fendues, le bras déchiré par une morsure d’où coulait sans arrêt un ruisselet de sang, et les manches de sa parka en lambeaux.