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BELLIOU-LA-FUMÉE

− Il n’y aura pas de Chilcoot, pour moi du moins répondait-il. Bien avant cela je dormirai tranquille dans mon petit nid sous la mousse. »

Il glissa, et fut épouvanté de la violence avec laquelle il s’était tordu pour regagner son équilibre. Il lui semblait que tout son intérieur venait de se déchirer.

« Si jamais je tombe avec ça sur le dos, je suis cuit, dit-il à un porteur.

— Ce n’est rien, répondit l’autre. Attendez d’arriver au cañon. Il vous faudra traverser un torrent furieux sur un tronc de sapin de vingt mètres de long. Pas de corde, rien pour se retenir, et l’eau qui vous bouillonne jusqu’aux genoux à l’endroit où le tronc fléchit. Si vous tombez avec un paquet sur le dos, pas moyen de sortir des courroies. Il faut rester là et vous noyer sur place.

— Bon débarras ! répliqua-t-il, et dans son épuisement il était presque sincère.

— Il s’en noie trois ou quatre par jour à cet endroit-là, reprit son interlocuteur. J’ai aidé à en repêcher un, un Allemand. Il avait sur lui quatre mille dollars en billets de banque.

— C’est encourageant, je l’avoue », conclut Kit en se relevant péniblement pour continuer son calvaire.

Le sac de haricots et lui devenaient les acteurs d’une tragédie ambulante, qui lui rappelait l’histoire du vieillard de la mer à califourchon sur la nuque de Sinbad le Marin.

Et c’est là, pensait-il, une de ces vacances éminemment viriles ! En comparaison, la servitude sous O’Hara lui paraissait douce. À diverses reprises, il se laissa presque séduire à l’idée de laisser le sac de haricots dans la brousse, de se couler vers la grève