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BELLIOU-LA-FUMÉE

IV

« J’ai vingt-sept ans et je suis un homme ! »

Telle est l’assertion que Kit se répéta à maintes reprises pendant les jours suivants, lorsqu’il se trouvait tête à tête avec lui-même. Et cette affirmation n’était pas inutile. Au bout de la semaine, bien qu’il eût réussi à déplacer ses huit cents livres d’un kilomètre et demi par jour, il avait perdu quinze livres de son propre poids. Son visage était émacié et hagard, son corps et son esprit veufs de tout ressort. Il ne marchait plus ; il traînait. Même dans ses retours à vide, il piétinait presque aussi lourdement qu’en allant chargé.

Il était devenu une bête de somme. Il s’endormait en mangeant, et son sommeil était profondément bestial, sauf quand une crampe dans les jambes l’éveillait et lui faisait pousser des cris de torture. Tout son corps lui faisait mal. Il marchait sur des ampoules à vif, et encore était-ce moins douloureux que les terribles meurtrissures infligées à ses pieds par les galets roulés dans les bas-fonds du Dyea, où la piste traversait un gué de trois kilomètres ; trois kilomètres qui en valaient bien cinquante en terrain ordinaire. Il se lavait la figure trois fois par jour, et ne nettoyait plus ses ongles, cassés, arrachés, hérissés d’envies. Ses épaules et sa poitrine, écorchées par les courroies, lui rappelaient, avec une sympathie désormais intelligente, les haridelles jadis rencontrées dans les rues des villes.