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BELLIOU-LA-FUMÉE

trée, présentait une surface unie comme du verre en fusion. Au moment où les sombres parois s’ouvraient pour les recevoir, le Courtaud prit une chique de tabac et plongea sa pagaie. L’esquif bondit sur les premières crêtes de la croupe liquide. Ils furent assourdis par le tonnerre des eaux affolées que multipliait l’écho entre les murs étroits, et à demi suffoqués par les embruns. Par instants, Kit perdait de vue son camarade à la proue. Ce fut tout au plus l’affaire de deux minutes, pendant lesquelles ils chevauchèrent la croupe sur une longueur de douze cents mètres. Puis ils émergèrent sains et saufs et s’amarrèrent au talus dans les remous en aval du rapide.

Le Courtaud se débarrassa du jus de tabac qu’il avait oublié de cracher — et prit la parole tout joyeux.

« Ça, c’était de la viande d’ours, de la vraie. Nous avons travaillé dur, pas vrai, la Fumée ? Je puis bien vous dire en confidence qu’avant notre départ j’étais le froussard le plus effrayé qu’il y eût de ce côté-ci des montagnes Rocheuses. Maintenant, je suis un mangeur d’ours. Allons passer l’autre bateau. »

Comme ils revenaient à pied, ils virent venir à moitié route leurs patrons, qui de là-haut avaient observé leur traversée.

IV

Après avoir fait passer le bateau de l’inconnu, Kit et le Courtaud apprirent qu’il s’appelait Breck et firent connaissance avec sa femme, une svelte et timide