Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/132

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coulait dans les veines de la jeune fille. Quand elle obéissait, ce n’était jamais que par une volonté raisonnée et en dehors de toute contrainte.

Elle avait appris à lire et à écrire l’anglais, comme pas une des autres élèves. Elle était artiste aussi, artiste dans l’âme et, lors des exercices de chant, c’était elle qui conduisait les voix de ses camarades.

Née dans un milieu plus favorable, elle se fût aussi bien adonnée à la littérature et à la poésie. Mais El-Sou, la Peau-Rouge, n’était qu’elle-même, c’est-à-dire la fille de Klakee-Nah et une des catéchumènes de la Mission de la Sainte-Croix, où il n’y avait que des bonnes Sœurs, uniquement préoccupées de l’éducation des âmes, de leur conduite dans la voie du Seigneur et de leur bonheur éternel, dans l’au-delà.

Les années passaient. El-Sou avait huit ans, lorsqu’elle était entrée à la Mission. Elle en comptait seize, maintenant, et les Sœurs avaient entamé des pourparlers avec la Supérieure de leur Ordre, afin que la jeune fille fût envoyée aux États-Unis, pour y parfaire son éducation.

Sur ces entrefaites, un beau matin, un homme de la tribu d’El-Sou se présenta à la Mission et demanda à s’entretenir au parloir, avec elle, quelques instants. Cet homme était aussi laid que Caliban, horriblement sale, avec une crinière de cheveux qui n’avaient jamais connu le peigne. El-Sou fut fort effrayée, à son aspect. Elle l’invita à s’asseoir. Mais il refusa et lui lança un regard dénué d’aménité.

— Ton frère est mort ! dit-il d’une voix brève.

La nouvelle fut reçue, par la jeune fille, sans grande émotion. Elle n’avait de son frère qu’un vague souvenir.

— Ton père, reprit le messager, se fait vieux, et il est seul. Sa maison est grande et vide. Il serait désireux d’entendre de nouveau ta voix et de te revoir.

El-Sou n’avait pas oublié son père, Klakee-Nah, le