Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/187

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le seul moyen qu’il avait eu de le transporter sans risquer de le voir devenir dur comme de la pierre du fait du gel.

Il avait à peine mastiqué la première bouchée que l’engourdissement de ses doigts l’avertit qu’il devait remettre sa moufle. Ce qu’il fit, non sans s’étonner de l’insidieuse rapidité avec laquelle le froid l’avait saisi. Il se dit que c’était sans doute le plus violent coup de froid qu’il ait jamais connu.

Il cracha sur la neige — un truc favori des gens du Nord — et il sursauta en entendant craquer le crachat instantanément congelé. À son départ de Calumet, le thermomètre à alcool indiquait soixante degrés au-dessous de zéro, mais il était certain que la température avait encore beaucoup baissé, sans pouvoir imaginer de combien.

La moitié du premier biscuit était encore intacte, mais il pouvait se sentir commencer à grelotter — ce qui était chez lui tout à fait exceptionnel. Ça n’ira jamais, se dit-il, et, en faisant glisser les bretelles de son sac en travers de ses épaules, il bondit pour se relever et se mit à courir sur la piste.

Quelques minutes de cet exercice lui permirent de se réchauffer, il prit une allure régulière, tout en mordant dans ses biscuits sans cesser d’avancer. La buée de sa respiration se condensait en glaçons dans sa moustache et sur ses lèvres ; un glacier miniature se formait sur son menton. De temps à autre son nez et ses joues perdaient toute sensibilité, il les frictionnait jusqu’à ce que le sang revienne et les rougisse.

La plupart des hommes portaient des protège-nez ; ses camarades par exemple, mais il avait toujours dédaigné ces baroques accessoires féminins et jusque-là il n’avait jamais éprouvé le besoin de s’en munir. Il le ressentait à présent, ce besoin, car il ne cessait de se frictionner.

Il éprouvait néanmoins un frisson de joie, d’exulta-