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Page:London - En pays lointain.djvu/68

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QUAND UN HOMME SE SOUVIENT

la falaise était si escarpée que les chevaux portaient toute leur charge sur leur arrière-train et devaient s’agripper comme les chats avec les jambes de devant.

« Le chemin était jonché des carcasses de ceux qui étaient retombés. Mon compagnon se tenait là, dans une puanteur d’enfer, et, d’un mot d’encouragement, d’une tape sur la croupe au moment propice, il aidait la file à passer. Et quand l’un d’eux s’embourbait, il barrait la route jusqu’à ce que l’animal fût retiré, et personne n’aurait pu l’en empêcher.

« À la fin de notre étape, un homme qui avait déjà tué cinquante chevaux voulut nous acheter les nôtres, des cayuses[1] de montagne de l’est de l’Orégon. Nous levâmes les yeux vers lui, ensuite nous regardâmes nos bêtes. Il offrait cinq mille dollars et nous étions sans le sou, mais nous songeâmes à l’herbe vénéneuse du Gomm et au passage sur la falaise, et l’homme, qui était mon frère, ne dit pas un mot, mais partagea les cayuses en deux groupes, les miens d’un côté, les siens de l’autre, puis me regarda.

« Nous nous comprîmes. Alors il emmena mes chevaux à l’écart et je pris les siens et, à coups de fusil, nous les tuâmes tous, jusqu’au dernier, pendant que l’individu qui avait déjà perdu cinquante chevaux nous injuriait à se rompre le gosier. Mais cet homme à qui j’étais attaché par les liens de la fraternité, sur la Piste du Cheval Mort…

  1. Cayuses : petits chevaux à longs poils et grosse tête