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pelle qu’il portait un gilet tricoté de laine brune et je sais l’endroit précis, parmi cet arsenal de bouteilles, d’où il retira celle qui contenait le sirop rouge.

Lui et mon père causèrent longtemps ; pendant ce temps-là, je dégustais mon délicieux breuvage tout en vénérant l’homme. Et, pendant des années, j’ai respecté sa mémoire.

Malgré mes deux expériences désastreuses, je me retrouvais ici avec John Barleycorn. Il y régnait en maître, comme partout ailleurs, montrant à tous mine accueillante. Il essayait de m’attirer, moi aussi. La buvette, avec tout ce qui s’y rapportait, laissait des traces profondes dans mon esprit juvénile. L’enfant que j’étais formait ses premiers jugements sur le monde, et le cabaret lui paraissait un lieu exquis. Ni les magasins, ni les édifices publics, ni aucune des demeures humaines ne s’étaient jamais ouverts devant moi, ne m’avaient admis à me chauffer au coin du feu ou permis de consommer les divines nourritures rangées sur d’étroits rayons contre le mur. Je voyais leurs portes toujours closes, et celles des cafés toujours béantes. En tout temps, et partout, sur les grandes routes ou les chemins de traverse, dans les ruelles ou les carrefours mouvementés, je rencontrais des auberges joyeuses, resplendissantes de lumières, chaudes en hiver, sombres et fraîches en été. Oui, le bar était un endroit délectable, et quelque chose de mieux encore.

Au moment où j’atteignais l’âge de six ans, ma famille abandonna la campagne pour la ville. À dix ans, je débutai dans la vie comme crieur de journaux. Une des raisons, c’est que nous avions besoin d’argent. Une autre, c’est que je voulais faire de l’exercice.

Mais je dois dire d’abord que j’avais