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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/100

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croyais que tout s’arrêtait là. J’estimais avoir tout vu, tout vécu, tout éprouvé de ce qui en valait la peine. Je décidais qu’il était temps d’en finir.

Telle fut la farce de John Barleycorn. Il se servait de mon imagination pour m’enchaîner et, dans les fumées de l’ivresse, m’entraînait à la mort.

Oh, il était persuasif ! Je connaissais vraiment tout de la vie, et ça ne pesait pas lourd ! L’ivrognerie immonde dans laquelle je me vautrais depuis des mois en était le née plus ultra, et je l’appréciais moi-même à sa juste valeur. J’y rattachais un sentiment de dégradation et l’antique conception du péché. Puis défilaient tous les pochards et les fainéants sans le sou que j’avais régalés. Voilà ce qui restait de la vie. Voulais-je leur ressembler ? Non, mille fois non. Et je versais doucement des larmes de tristesse en songeant à ma splendide jeunesse qui s’en allait avec le reflux. Qui ne connaît l’ivrogne larmoyant et mélancolique ? On le trouve dans tous les caboulots ; s’il ne rencontre personne d’autre, il vient conter ses chagrins au barman, payé pour l’écouter.

L’eau était délicieuse. J’allais mourir en homme. John Barleycorn changea l’air qu’il jouait dans mon cerveau complètement abruti par l’alcool. Adieu, les larmes et les regrets ! C’était la fin d’un héros, qui mourait par sa volonté et de ses propres mains. Aussi j’entonnai à pleins poumons mon chant funèbre, quand tout à coup le gargouillement et le clapotis des remous dans mes oreilles me rappelèrent à la réalité immédiate.