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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/101

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Au-dessous de la ville de Bénicia, où se projette le quai Solano, un élargissement du détroit forme ce que les habitants de la Baie nomment « l’anse du chantier Turner ». Je flottais à ce moment-là sur le courant de rivage qui s’engouffrait sous le quai pour se déverser dans l’anse. Je connaissais la force du tourbillon lorsque la marée, dépassant la pointe de l’île de l’Homme-Mort, s’élance droit vers le wharf. Je n’éprouvais nulle envie de traverser ces pilotis. Outre que cela ne me disait rien de bon, je pourrais perdre une heure dans l’anse et retarder d’autant ma fuite avec le reflux.

Je me dévêtis dans l’eau et me mis à faire la brasse indienne pour traverser le courant à angle droit. Je ne m’arrêtai que lorsque je jugeai, d’après les lumières du quai, pouvoir sûrement dépasser la pointe. Alors je fis la planche pour me reposer. Cette nage m’avait fatigué, et je mis quelque temps à reprendre haleine.

J’exultais, car j’avais réussi à éviter l’entonnoir. J’allais reprendre mon chant de mort, simple improvisation d’un gosse affolé par la drogue.

— Ne chante pas encore, me souffla John Barleycorn. Le Solano est en activité toute la nuit. Il y a des cheminots sur le quai. Ils vont t’entendre, venir à ton secours sur un bateau, et tu sais bien que tu ne veux pas de ça !

Certainement non, je ne désirais pas être sauvé. Comment ? Me laisser frustrer de ma mort héroïque ? Jamais ! Je continuai à nager sur le dos sous la clarté des étoiles, et regardai fuir les lueurs familières du quai — rouges, vertes et blanches — à tout ça, j’envoyai un sentimental adieu.