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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/131

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Au moment où nous réussissions à l’écarter de cet endroit, sa furie s’était transformée et il se croyait à présent un grand nageur. L’instant d’après, il sautait par-dessus bord pour nous prouver sa force, il se débattait comme un marsouin malade, et avalait une forte dose d’eau salée.

Nous le repêchâmes et le descendîmes dans le poste. Lorsqu’il fut dévêtu et couché, nous nous sentîmes nous-mêmes à bout de forces. Cependant Axel et moi n’étions pas encore rassasiés de la noce. Nous retournâmes à terre, laissant Victor à ses ronflements.

C’est un curieux jugement que portèrent sur Victor ses compagnons de bord et d’ivresse. Ils hochaient la tête et murmuraient d’un ton désapprobateur : « Un homme comme lui devrait pas boire ! »

Victor était un splendide spécimen de marin, le plus adroit et le meilleur caractère de l’équipage ; ses camarades en convenaient, ils l’aimaient et le respectaient. Pourtant, John Barleycorn l’avait métamorphosé en fou furieux.

Et c’est là ce que ces ivrognes voulaient dire. Ils savaient que l’ivrognerie — et celle des matelots est toujours excessive —, les rendait déments, mais d’une démence modérée. Ils s’élevaient contre la folie déchaînée parce qu’elle gâtait le plaisir des autres et se terminait souvent en tragédie. À leur avis, toute folie douce était licite. Pourtant, au point de vue de la race humaine entière, toute folie n’est-elle pas répréhensibîe ? Et existe-t-il un plus grand responsable que John Barleycorn pour les démences de toute nature ?