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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/135

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et le tragique de la situation, je me battais les flancs pour élucubrer de tristes lieux communs d’ivrogne sur la vie et le romanesque.

Un dernier tableau ressort, net et vif, dans la pénombre et la confusion de mes souvenirs. Les mousses et moi, accrochés les uns aux autres, nous titubons sous les étoiles, sauf l’un d’entre eux qui reste à l’écart, assis par terre, et fond en larmes ; nous entonnons une joyeuse chanson de marins dont nous marquons la cadence en agitant des bouteilles carrées. D’un bout à l’autre de la rue, nous parviennent les échos des chœurs de matelots qui braillent comme nous. La vie me paraît grande, belle, romanesque et magnifiquement folle !

Les ténèbres se dissipent, j’ouvre les yeux aux premiers feux de l’aurore, et je vois, penchée sur moi, une Japonaise m’interrogeant d’un regard inquiet. C est la femme du pilote du port, qui m’a trouvé allongé sur le pas de sa porte. J’ai froid, je grelotte, je souffre des suites de mon orgie. Je m’aperçois que je suis légèrement vêtu. Ces salauds de déserteurs ! Ils ont l’habitude des départs clandestins ! Ils sont partis avec ce que je possédais : montre, dollars, manteau, ceinture, tout s’en est allé, jusqu’à mes souliers.

Voilà un échantillon de mes dix jours de congé aux îles Bonin. Victor, guéri de sa démence, vint nous rejoindre, Axel et moi. Après quoi, nous refrénâmes quelque peu nos bordées. Mais hélas, jamais nous ne devions gravir ce sentier de lave au milieu des fleurs ! Nous n’avions vu que la ville et les bouteilles carrées !

Celui qui s’est laissé brûler est tenu de mettre les autres en garde. J’aurais pu, si je m’étais