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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/141

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Barleycorn est toujours demeuré pour moi un mystère. Mon organisme était si réfractaire à l’alcool que je n’avais pas la tentation de boire. Ses réactions chimiques ne me procuraient aucune satisfaction. Je buvais par esprit d’imitation et parce que mon tempérament m’interdisait de rester au-dessous des autres dans leur passe-temps favori.

Malgré tout, je ne perdais pas le goût pour les sucreries et, à la dérobée, j’achetais des bonbons que je savourais avec béatitude.

Le bateau leva l’ancre au son de nos joyeux refrains, et nous quittâmes le port de Yokohama pour San Francisco. Nous avions pris la route du nord, poussés par un fort vent d’ouest, et nous traversâmes le Pacifique en trente-sept jours d’un superbe voyage.

Nous devions encore toucher une grosse paie, et pendant ces trente-sept jours, sans une goutte d’alcool, les idées nettes, nous formulions constamment des projets sur l’emploi de notre argent.

Nous faisions tous ce premier serment — éternellement le même sur les gaillards d’avant des navires qui reviennent au port : « Au diable les requins des pensions de famille ! » Entre nous, nous regrettions d’avoir gaspillé tant d’argent à Yokohama. Chacun caressait ensuite son rêve favori. Victor, par exemple, affirma qu’aussitôt débarqué à San Francisco, il traverserait d’une traite le port et la côte Barbary, et ferait insérer une annonce dans les journaux pour trouver chambre et pension au sein de quelque honnête famille d’ouvriers. Ensuite, dit-il, je suivrai des cours de danse pendant une semaine ou deux,