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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/180

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les dix dollars, je ne pris pas même une consommation. Il m’avança cette somme sans exiger de garantie ni d’intérêts.

Plus d’une fois, au cours de cette lutte temporaire à la conquête de l’instruction, je retournai chez Johnny Heinhold pour lui emprunter de l’argent. Quand j’entrai à l’Université, je le tapai de quarante dollars aux mêmes conditions.

Et cependant — voici le point capital, la coutume, l’article de loi, — quand sont venus pour moi les jours prospères, après bien des années, j’ai fait souvent un long détour pour dépenser sur le comptoir de la Dernière Chance l’intérêt différé de mes emprunts. Non que Johnny m’eût jamais demandé pareille chose, ni même qu’il s’y fût attendu. J’agissais ainsi en vertu du code que j’avais appris, entre autres particularités, de John Barleycorn.

Quand un homme, arrivé à bout de ressources, ne sait plus à quel saint se vouer, qu’il ne lui reste plus la moindre garantie pour attendrir l’usurier au cœur de pierre, il peut s’adresser à quelque tenancier connu de lui. La reconnaissance étant une qualité essentiellement humaine » dès que l’obligé se trouvera renfloué, soyez sûr qu’une bonne partie de son argent sera dépensée au comptoir de son bienfaiteur.

Je me rappelle les premiers temps de ma carrière d’écrivain, alors que me parvenaient avec une irrégularité tragique les sommes minimes envoyées par les revues. À cette époque-là je me débattais pour soutenir une famille toujours croissante, composée d’une femme, d’enfants, de ma mère, de mon neveu et de Mammy Jennie, avec son vieil époux, tombés