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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/185

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cerveau était entièrement vidé, si bien que je ne pouvais plus supporter la vue d’un livre ni d’un individu capable du moindre effort de pensée.

Cet état comportait un seul remède : la route aventureuse. Je n’attendis pas le résultat des examens. Je roulai des couvertures que j’amarrai, avec un repas froid, au fond d’un bateau de louage, et je mis à la voile. À peine sorti de l’estuaire d’Oakland, je me laissai aller à la dérive avec le dernier jusant du matin, et saisi par la marée qui remontait la baie, je m’amusai à faire la course avec une brise carabinée.

La baie de San Pablo m’apparut, écumante, ainsi que le détroit de Carquinez, au large des hauts fourneaux de Selby. Je cherchai en avant et laissai bientôt en arrière les anciens points de repère que m’avait fait connaître Nelson sur le Reindeer.

Puis j’aperçus Bénicia. Je pénétrai dans la crique du Chantier Turner, contournai le quai Solano, et arrivai à la hauteur de la jonchaie et des embarcations de pêcheurs où j’avais vécu jadis et bu force rasades.

En ce moment précis, un incident survint dont je ne devais découvrir que bien plus tard la gravité. Je n’avais pas l’intention de m’arrêter à Bénicia. J’avais pour moi la marée, un bon vent soufflait et hurlait dans les voiles — c’était en somme une magnifique promenade en mer pour un matelot. La Tête de Taureau et les Pointes de l’Armée se montrèrent devant moi, indiquant l’entrée de la baie de Suisun, qui, je le devinais, bouillonnait elle aussi.

Et cependant lorsque mes yeux se portèrent sur ces barques de pêcheurs au milieu des joncs