Aller au contenu

Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la côte, sans réfléchir davantage je lâchai la barre, me précipitai sur la voile, et me dirigeai tout droit vers le rivage. Instantanément, au plus profond de mon cerveau en délire, je sus ce que je voulais. Je désirais boire, je voulais m’enivrer.

L’appel était impérieux, irrésistible. Plus que toute autre chose au monde, mon esprit en capilotade voulait puiser du répit aux sources qu’il savait certaines. Et voici où je veux en venir : pour la première fois de ma vie, pleinement conscient et de propos délibéré, j’avais envie de boire. Manifestation nouvelle, totalement différente, du pouvoir exercé par John Barleycorn. J’éprouvais pour l’alcool non pas un besoin corporel, mais un désir cérébral. Mon esprit, surmené et fêlé, cherchait de l’oubli.

Le drame atteint ici son point culminant. La dépression intellectuelle dont je souffrais n’aurait sans doute jamais fait naître en moi l’idée de n’enivrer si, autrefois, pareille chose ne m’était arrivée. Au début, tout mon organisme se révoltait contre l’alcool que j’ai absorbé, pendant de longues années, par pur esprit de camaraderie, et parce qu’on en trouvait à tout moment sur la route de l’aventure. J’étais maintenant arrivé au stade où mon cerveau réclamait non pas un simple verre, mais l’ivresse totale. Tout cela, je le répète, ne se serait pas produit sans cette habitude invétérée. Je serais passé, sans m’y arrêter, devant la Tête de Taureau, la baie Suisun, toute blanche d’écume, et le vent capiteux qui gonflait mes voiles et emplissait mes poumons aurait rafraîchi et calmé mon cerveau malade.

Je cinglai donc vers la rive, rentrai le gréement, et débarquai parmi les embarcations des