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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/189

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mon défi aux vents et à la mer. Je me sentais fier comme un maître de la vie, chevauchant les éléments déchaînés, avec John Barleycorn en croupe. Entre des réflexions sur les mathématiques et la philosophie, des déclamations et des citations, j’entonnais de vieux refrains appris à l’époque où j’avais quitté la fabrique de conserves pour devenir pilleur d’huîtres : Loulou la négresse, Nuage volant, Oh ! ménagez ma pauvre fille, Le Cambrioleur de Boston, Venez tous en balade. Les Joueurs, Je voudrais être un petit oiseau, Shenan-doah, et Ranzo, Boys, Ranzo.

De longues heures après, aux feux du couchant, à 1’endroit où le Sacramento et le fleuve San Joaquin mêlent leurs flots bourbeux, je pris le Raccourci de New York, je glissai à travers cette eau calme jusqu’au Diamant Noir, où je repris le San Joaquin. J’arrivai enfin à Antioch, un peu dégrisé et avec une faim de loup, et j’accostai le long d’un grand sloop, bien connu de moi, qui transportait des pommes de terre. À bord, je trouvai de vieux copains, et on fit frire ma perche dans de l’huile d’olive. On m’offrit un succulent ragoût assaisonné d’ail, du pain croustillant italien sans beurre, le tout arrosé de cruches d’un vin rouge épais et capiteux.

Mon bateau était inondé, mais je trouvai dans la confortable cabine du sloop des couvertures sèches et une bonne couchette ; je m’y étendis, je fumai, et nous nous racontâmes des histoires du bon vieux temps. Au-dessus de nous le vent hurlait dans les agrès, et les drisses tendues tambourinaient contre le mât.