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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/19

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depuis la veille au soir. Les Morrisey constituaient une énorme lignée ; tous, depuis les oncles jusqu’aux petits-fils avaient de lourdes bottes, des poings formidables et le verbe rude.

Soudain, on entendit les femmes crier d’une voix perçante : « Ils vont se battre ! » Des hommes s’élancèrent hors de la cuisine. Tout le monde se précipita. Deux géants, aux cheveux grisonnants, la face congestionnée, s’agrippaient étroitement l’un l’autre. L’un d’eux se nommait Black Matt ; d’après la rumeur publique, il avait tué deux hommes dans sa vie. Les femmes étouffèrent leurs cris, se signèrent ou se mirent à marmotter des prières sans suite, les mains sur le visage, tout en regardant à travers leurs doigts. Je ne suivis pas cet exemple : il est à présumer que j’étais le spectateur le plus intéressé. Peut-être verrais-je cette chose merveilleuse, le meurtre d’un homme. À tout prendre, j’allais sûrement assister à une bataille entre ces deux-là. Ma déconvenue fut grande : Black Matt et Tom Morrisey se tinrent solidement accrochés l’un à l’autre et soulevèrent leurs pieds lourds et maladroits pour exécuter ce qui me parut être une grotesque danse d’éléphants. Ce fut tout ce que je vis. Ils étaient trop ivres pour se battre. Les pacifistes s’emparèrent d’eux et les reconduisirent à la cuisine pour cimenter la réconciliation.

Bientôt tous se mirent à parler à la fois, grondant et mugissant comme font des hommes à la poitrine large, qui vivent au grand air, lorsque le whisky a fouetté leurs dispositions taciturnes. Le cœur du petit blanc-bec que j’étais palpitait d’effroi ; les nerfs tendus comme ceux d’un faon prêt à la fuite, je regardais de tous