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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/198

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N’oublions pas non plus que John Barleycorn est d’humeur très versatile. Il s’adresse aussi bien à la force herculéenne, à la vitalité débordante, qu’à l’ennui de l’oisif. Il passe son bras sous celui de n’importe qui, sans s’inquiéter de son état d’esprit. Sur tous les hommes il lance son filet de séductions. Il fait passer de vieilles lampes pour des neuves, saupoudre de paillettes les grisailles de la réalité, et, en définitive, trompe tous ceux qui sont en rapport avec lui.

Je ne m’enivrai pas cependant, pour la bonne raison qu’il fallait parcourir plus de deux kilomètres avant d’atteindre le bar le plus proche. Et ceci prouve que l’appel de John Barleycorn ne m’assourdissait pas les oreilles, car autrement j’aurais couvert dix fois cette distance pour gagner un bar. Mais s’il s’en était trouvé un au coin de la rue, il est certain que j’aurais succombé. Je me contentais donc de m’asseoir à l’ombre, pendant mon seul jour de repos, et de m’amuser à lire les feuilles dominicales. J’étais trop harassé même pour digérer cette prose sans intérêt. Le supplément comique amenait parfois un pâle sourire sur mon visage, puis je m’endormais.

Malgré la résistance dont je fis preuve en m’abstenant de répondre aux injonctions de John Barleycorn tout le temps que je travaillai à la blanchisserie, cette phase de ma vie produisit en moi des conséquences définitives. J’avais entendu l’appel du tentateur, senti la morsure du désir, et soupiré après l’alcool. Je me préparais au besoin plus violent, à la passion irrésistible, qui ne me lâcherait plus dans les années à venir.