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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/217

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mes nausées. Il ignorait au prix de quels efforts ma voix restait claire et ma parole facile, ma pensée cohérente et mon raisonnement logique.

Néanmoins je riais sous cape. Ils n’avaient pas réussi à me tourner en ridicule. J’éprouvais même de la fierté à tromper ainsi leur attente —fierté dont je ne puis même pas me défendre rétrospectivement, tant est complexe la nature de l’homme !

Le lendemain matin, le poison m’avait rendu si malade que je fus incapable d’aligner mes mille mots. Je passai une journée épouvantable. Je devais, l’après-midi, prononcer un discours qui fut, je crois, aussi vaseux que moi-même. Certains de mes hôtes s’étaient placés aux premiers rangs pour déceler chez moi des traces de notre orgie de la veille. J’ignore quelles furent leurs déductions mais je me consolai en constatant qu’ils étaient aussi mal en point que moi.

Je me jurai de ne jamais plus m’y laisser prendre, et je tins ma promesse, car ce fut pour moi la dernière beuverie de cette sorte. Certes, j’ai continué à boire : mais j’ai tempéré mon vice de plus de sagesse et de discrétion, et surtout j’ai abandonné tout esprit de rivalité. Car il y a des degrés et des progrès même dans l’ivrognerie.

Voici un autre exemple prouvant qu’à cette époque je ne buvais que par esprit de camaraderie. Lors d’une traversée de l’Atlantique que je faisais sur le vieux vapeur Teutonic, il m’arriva, tout au début, de lier connaissance avec un télégraphiste anglais et un associé d’une maison de navigation espagnole. Leur seul breuvage, qu’ils appelaient une « encolure de cheval », était une mixture douce et rafraîchissante dans