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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/232

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dix fois moins qu’autrefois. Je m’intéressais toujours aux problèmes fondamentaux de l’existence, mais je les abordais avec une certaine méfiance, car je m’étais brûlé les doigts ce jour où j’avais arraché les voiles de la Vérité.

Je confesse que ma nouvelle attitude comportait ce brin d’hypocrisie et de mensonge nécessaires à l’homme qui veut vivre. Volontairement, je me mis un bandeau sur les yeux, pour ne pas voir ce que je prenais pour l’interprétation brutale du fait biologique. Après tout, je me débarrassais d’une mauvaise habitude, d’un état d’esprit pernicieux. Et, je le répète, je nageais dans le bonheur. En considérant mon passé d’un œil froid et attentif, j’avoue que de toute ma vie cette période fut, et de beaucoup, la plus heureuse.

Mais l’heure arrivait où, sans rime ni raison, j’allais payer mes vingt années de débauche avec John Barleycorn. Parfois des invités venaient nous voir au ranch et y passaient quelques jours. Certains ne buvaient pas, mais pour les autres la privation d’alcool serait devenue une vraie privation que je ne pouvais décemment leur imposer. Aussi j’en commandai toute une provision pour mes invités.

Mon goût pour les cocktails n’allait pas jusqu’à me passionner sur la manière dont on les composait. Je chargeais un patron de bistrot d’Oakland d’en préparer une série, et de me les envoyer. Quand j’étais seul je n’y touchais pas, mais je ne tardai pas à m’apercevoir que chaque matin, après mon travail, je souhaitais l’arrivée d’un ami, afin de pouvoir déguster un cocktail avec lui.