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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/234

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réchaud, nos rires fusaient, et j’avais une faim de loup. C’était merveilleux.

Je me trouvais si bien qu’en moi s’éleva, je ne sais comment, une insatiable envie d’un mieux-être. J’appréciais mon bonheur à un tel point que je désirais le décupler encore. Et j’en connaissais le moyen, je l’avais appris dans mes innombrables contacts avec John Barleycorn. À plusieurs reprises je sortis de la cuisine pour aller prendre la bouteille de cocktail et l’alléger chaque fois d’un bon verre. Le résultat fut magnifique : sans être le moins du monde éméché ni allumé, je me sentais réchauffé et animé. La vie me jetait le bonheur à pleines mains, et j’ajoutais encore à sa munificence. Ma joie atteignait un sommet. Ce fut un moment sublime de ma vie — un des plus grands, peut-être. Mais j’en payai le prix, longtemps après, comme vous allez le voir. On ne peut oublier de tels instants, et d’autre part l’homme, dans sa bêtise, ne comprend pas qu’il n’existe aucune loi immuable décrétant que les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets. Autrement la millième pipe d’opium provoquerait des jouissances semblables à celles de la première, et un seul cocktail, au lieu de plusieurs, engendrerait la même flamme après une année d’accoutumance.

Un matin que nous n’avions pas d’invités à la maison, — je venais de terminer ma tâche quotidienne — je m’offris un cocktail solitaire. À partir de ce jour, je ne manquai plus de prendre un verre avant les repas. Je tombais en plein dans le traquenard de John Barleycorn, car je me mettais à boire régulièrement, à boire tout seul, à boire non plus par esprit d’hospitalité ni