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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/238

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qu’à boire en Suisse. Je fis mieux encore : quand je me trouvais en compagnie d’un buveur modéré, j’ingurgitais deux verres pendant que lui se contentait d’un — le deuxième sans lui et à son insu. Je volais pour ainsi dire cette rasade supplémentaire, et, le plus grave, je m’accoutumais à boire seul, en cachette d’invités ou d’amis avec qui j’aimais à trinquer. Mais, ici encore, John Barleycorn me fournissait une excuse : ça n’aurait pas été convenable de pousser un invité à se soûler, alors qu’il n’était pas en mesure de me tenir tête. Je n’avais d’autre alternative : ou boire ce second verre, ou me refuser le stimulant qu’un seul cocktail ne pouvait plus me procurer.

Arrivé à cette phase de mon récit, je tiens à affirmer que je ne suis ni un imbécile ni une mauviette. Tout le monde reconnaît aujourd’hui mes succès d’écrivain, plus marqués, j’ose le dire, que ceux de la moyenne de mes confrères arrivés, et il m’a fallu pour atteindre ce résultat une bonne dose d’intelligence et de volonté. Mon corps robuste a survécu à des aventures où bien des avortons auraient succombé comme des mouches. Et pourtant ce que je raconte m’est arrivé. Mon existence est un fait, mon ivrognerie en est un également. C’est une expérience vécue et non une spéculation théorique. C’est, à mon avis, un exemple frappant de la toute-puissance de John Barleycorn, — ce fléau que nous laissons survivre, bien qu’il remonte aux époques de bestialité et prélève chaque année sur la fleur même de notre race son lourd tribut de jeunesse, de force et d’enthousiasme.

Je reprends le fil de mon histoire.

Après un après-midi endiablé passé à m’ébattre