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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/249

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ni whisky, ni vin. Ce rhum vous écorchait le palais. J’en sais quelque chose, car j’y ai goûté. Mais comme j’ai toujours été d’une nature accommodante, je me résignai à l’absinthe. Malheureusement, je devais en absorber de formidables quantités avant d’obtenir l’effet recherché. Je quittai les Marquises avec une cargaison d’absinthe suffisante pour durer jusqu’à Tahiti, où je m’approvisionnai de whisky écossais et américain. Dès lors je dis adieu aux intermèdes de tempérance entre les ports, Qu’on ne se méprenne pas, cependant. Je n’étais jamais ivre — dans le sens ordinaire de ce terme — je ne titubais pas, je ne roulais pas par terre, et je gardais mes idées nettes. Un buveur aguerri et habile, doué d’une forte constitution, ne descend jamais à ces extrémités. Il cherche à se mettre en bonne forme, voilà tout. Mais il fuit comme la peste les nausées, les lendemains de cuite, la perte de sa fierté.

Cet ivrogne-là acquiert, d’une façon discrète et prudente, une semi-intoxication qu’il fait durer impunément, du moins en apparence, pendant les douze mois de l’année. En Amérique, on pourrait compter par centaines de mille ceux qui, dans les clubs, voire chez eux, ne sont jamais ivres et qui pourtant sont rarement à jeun, bien que la plupart soient prêts à le nier avec indignation. Et chacun d’eux se complaît à croire, comme je l’ai cru moi-même, qu’il triche avec john Barleycorn.

En mer j’étais assez raisonnable, mais c’était pour me rattraper à terre. Mon besoin devenait plus pressant, j’en suis certain, sous les tropiques. Sans doute je ne faisais pas d’exception à la