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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/252

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immanquablement mes mille mots par jour, sauf quand la fièvre me terrassait ou qu’au matin une rafale menaçait de détruire le Snark. J’étais encore un voyageur, avide de voir et de recueillir des documents dans mes carnets de route.

En fin de compte, j’étais capitaine et propriétaire d’une embarcation qui visitait des contrées inconnues, peu fréquentées, et où on faisait grand cas des étrangers. Il me fallait donc tenir mon rang dans la société, recevoir à bord, être reçu à terre par les planteurs, trafiquants, gouverneurs, capitaines de vaisseaux, rois cannibales à têtes crépues et leurs premiers ministres qui, parfois, avaient la veine d’être habillés de cotonnades.

Bien entendu, je buvais, d’abord avec mes hôtes, et aussi tout seul. Je m’y croyais autorisé puisque j’exécutais le travail de cinq hommes. L’alcool est salutaire à qui se surmène. J’en remarquais les effets sur les quelques marins qui composaient mon équipage lorsque, le dos brisé et le cœur défaillant, ils s’évertuaient à lever l’ancre sur un fond de quarante brasses. Au bout d’une demi-heure ils s’arrêtaient, haletants et fourbus. Alors ils reprenaient vie en avalant de fortes gorgées de rhum. Ils respiraient plus librement, s’essuyaient la bouche, et se remettaient à la besogne avec une nouvelle ardeur. Et lorsque nous abattions le Snark en carène et qu’il nous fallait travailler avec de l’eau jusqu’au cou, entre des accès de fièvre, je voyais bien que l’opération n’avançait que grâce aux coups de rhum pur.

Ici encore nous découvrons parmi tant d’autres un nouvel aspect de John Barleycorn. Apparemment,