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Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/47

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Le monde entier m’appartenait, j’en foulais toutes les routes ; et John Barleycorn, se jouant de mon imagination, me permettait de devancer la vie aventureuse après laquelle je soupirais.

Nous n’étions pas des types ordinaires, mais trois jeunes dieux ivres, d’une sagesse incroyable, d’une félicité rayonnante, d’une puissance illimitée ! Ah ! — je l’affirme aujourd’hui, après toutes ces années — si, grâce à John Barleycorn, on avait pu demeurer en pareil état de grâce, jamais plus on ne m’aurait vu sobre. Hélas ! tout se paie ici-bas, suivant une loi rigide ; toute force s’équilibre d’une faiblesse, toute ascension d’une descente. À chaque minute fictive passée en compagnie des dieux correspond une autre minute où l’on patauge dans la fange avec les reptiles, et lorsqu’on parvient par un tour de force à comprimer de longs jours et d’interminables semaines en des instants de folie magnifique, il faut les racheter par une vie abrégée, souvent avec une impitoyable usure.

L’intensité et la durée sont des ennemis aussi vieux que le feu et l’eau. Ils s’entre-détruisent et ne peuvent coexister. John Barleycorn, tout puissant nécromancien qu’il est, demeure esclave de la chimie organique tout comme nous autres mortels. Nous payons pour chaque surmenage imposé à nos nerfs, et John Barleycorn ne peut intervenir pour nous éviter la juste échéance. Capable de nous transporter aux sommets, il ne saurait nous y maintenir ; autrement, nous deviendrions tous ses fidèles. Or, il n’en existe pas qui n’expient les folles sarabandes dansées au son de sa flûte.

L’enfant de quatorze ans que j’étais alors,