Aller au contenu

Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et plongea furieusement. L’écume commença à voltiger autour de moi. Je me sentais au paroxysme de l’exaltation. Je chantais : Blow the Man doum en larguant la toile. Je n’étais plus le gosse de quatorze ans, qui menait la vie insipide de cette ville morte appelée Oakland. J’étais un homme, un dieu, et les éléments eux-mêmes me rendaient hommage tandis que je les matais à mon gré.

C’était la basse mer. Cent mètres de vase séparaient l’eau de l’appontement. Je remontai ma quille mobile, courus grand-erre en plein dans la boue, amenai la voile, et, debout à l’arrière, comme je l’avais fait souvent à marée basse, je me mis à godiller. C’est à ce moment que les rapports entre mon cerveau et mes muscles me firent faux bond : je perdis l’équilibre et plongeai, tête en avant, dans la purée. Alors, pour la première fois, tandis que je me débattais pour me remettre sur pied, couvert de boue, et les bras en sang car je m’étais cogné contre un pieu incrusté de bernicles, je m’aperçus que j’étais ivre. Et puis après ? De l’autre côté du chenal, deux solides matelots restaient étendus, sans connaissance, dans leurs couchettes où je les avais enivrés. J’étais un homme. Je tenais toujours sur mes jambes, même avec de la vase jusqu’aux genoux. Je repoussai l’idée de remonter dans mon canot. Je me mis à patauger à travers la boue, en poussant mon esquif devant moi et j’entonnai au monde l’hymne de ma virilité.

Je devais payer cette folie. Je restai deux ou trois jours malade, abominablement malade, et j’eus les deux bras infectés par les égratignures