Page:London - Le Cabaret de la dernière chance, 1974.djvu/51

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de bernicles. Pendant une semaine je ne pus m’en servir, et j’éprouvais une torture à mettre et ôter mes habits.

Jamais plus on ne m’y reprendrait, j’en faisais le serment. Ça ne valait vraiment pas le coup. Le prix était exorbitant. Cependant, je n’avais pas de nausées morales ; ma répulsion était purement physique. Les moments d’exaltation auxquels j’avais goûté ne compensaient nullement ces heures de misère et de souffrance.

Lorsque je retournai à mon canot, j’évitai l’Idler. Je fis un détour de l’autre côté du chenal. Scotty avait disparu. Le harponneur se trouvait toujours dans les parages, mais j’avais garde de le rencontrer. Une fois, il descendit sur le quai, je me cachai dans un hangar pour qu’il ne me voie pas. Je craignais qu’il ne me propose encore à boire, peut-être même avait-il une bouteille de whisky dans sa poche.

Et pourtant — ici entre en jeu la sorcellerie de John Barleycorn — cette beuverie à bord de l’Idler demeurait comme un jour marqué d’une pierre blanche dans mon existence monotone. C’était un événement mémorable. Je ne faisais qu’y songer. J’en repassais tous les détails, sans me lasser. Entre autres choses, j’avais pu pénétrer les mobiles et les ressorts cachés des actions humaines. J’avais vu Scotty verser des larmes sur son indignité et sur la pitoyable situation de sa mère, la dame d’Edimbourg. Le harponneur m’avait confié de terribles choses sur son propre compte. J’avais entrevu en foule les réalités séduisantes et passionnantes d’un monde au-delà du mien et pour lequel je me sentais aussi apte que mes deux jeunes compagnons de beuverie.