briller dans ses yeux. Tout cela m’étonnait. Plus je connaissais d’hommes, plus les hommes me paraissaient bizarres. Johnny Heinhold se pencha vers moi par-dessus le comptoir et me coula dans l’oreille : « C’est à toi qu’il en veut. Prends garde ! » Je montrai par un signe de tête, avec l’air d’un homme parfaitement informé sur la nature humaine, que je comprenais son insinuation. Mais en moi-même j’étais intrigué. Grands dieux ! Comment pouvais-je, moi qui n’avais fait que trimer et lire des romans d’aventures ; moi, gamin de quinze ans, qui ne songeais déjà plus à la Reine des Pilleurs d’Huîtres et ignorais entièrement que Frank-le-Français était follement amoureux d’elle, comment aurais-je pu deviner que je l’avais couvert de honte ? Cette histoire e la Reine, qui avait refusé de monter avec lui dans son bateau à la minute où j’apparaissais en vue, avait déjà fait le tour des quais : tout le monde en riait. Comment pouvais-je le savoir ? Et, pour la même raison, comment discerner que les manières réservées de son frère Pat envers moi ne provenaient que d’une disposition naturelle à la mélancolie ? Whisky Bob me prit à part : — Ouvre l’œil, murmura-t-il. C’est moi qui te le dis. Frank-le-Français fait une sale tête. Je vais remonter la rivière avec lui, acheter une goélette pour la pêche aux huîtres. Quand il redescendra sur les bancs, fais bien attention ! il se promet de te couler. À la nuit, dès que tu le sauras aux environs, change ton mouillage et amène ton fanal de position. Compris ?
Oh, sûrement que je comprenais ! J’acquiesçai de la tête, et comme un homme en face d’un